Pauvreté n’est pas vice. Un jour certain rentier,
Qui n’avait pour toute ressource
Que quelques bons trois quarts, ou tel autre papier,
Qui, réduit à zéro, faisoit que dans sa bourse
Le diable seul logeait, comme l’on dit ;
S’apercevant que son habit,
Dont l’étoffe, en tout sens, jusqu’à la trame usée,
Ne laissait plus distinguer sa couleur,
Sous mille taches, éclipsée,
Lui demandait enfin un successeur ;
Était d’un embarras à peindre difficile.
Car sans argent aller chez les fripiers,
C’est se donner une peine inutile.
Quant au crédit : d’infortunés rentiers
En pourraient-ils trouver ? Depuis long-tems personne
N’ignore qu’ils n’ont que des droits à l’aumône.
A force d’y rêver, celui-ci, pour sortir
De ce pas, s’avisa de certain stratagème
Qui pallia son mal au lieu de le guérir.
Combien de charlatans aujourd’hui font de même !
Mais ce n’est point d’eux qu’il s’agit :
Revenons à notre homme. Il fit de son habit
Découdre avec soin la doublure,
Et voyant que le drap, moins taché par dessous,
Des ans et du destin avait bravé l’injure,
Ou du moins n’offrait point l’empreinte de leurs coups,
Sut par une métamorphose,
Telle qu’on en peut voir chez tant de parvenus,
(Mais chut ! sur ces messieurs taisons-nous, et pour cause)
Faire prendre à l’envers la place du dessus.
Son habit, de cette manière,
Paraissait presque neuf. En était-il moins vieux ?
Non, car les trous bientôt, trahissant le mystère,
De tous côtés, de notre malheureux
Mirent à nu la profonde misère.
Le but de cette fable est très-clair : elle apprend
Que l’on ne doit jamais juger sur l’apparence.
Or le précepte est bon, car on dit qu’à présent,
Les habits retournés sont à la mode en France.
“L’Habit retourné”