Être bon, c’est très-bien ; mais l’être trop, c’est bête.
Si cette expression te révolte, lecteur,
Tu peux la remplacer en dépit de l’auteur
Qui la trouve fort juste, et la maintient en tête
De certain fait que voici,
Qu’il va te conter ainsi :
Un homme possesseur d’une fortune immense,
Aimait faire le bien, c’était dans son essence ;
Mais cet amour, lecteur, il le poussait si loin,
Qu’il notait plus vertu, mais défaut, c?est certain.
Lorsqu’on lui répétait qu’en tout, pour le bien même
Il fallait apporter une prudence extrême,
Il répondait toujours. — D’honneur je ne puis pas
Laisser un honnête homme ainsi dans l’embarras.—
Toute demande enfin, faible ou considérable,
Auprès de lui trouvait un accès favorable.
Il aidait celui-ci, prêtait à celui-là,
Bref, il se fit si bon que tout il engagea,
Et ce qu’il en advint aisément se devine :
La gêne en commençant, puis après la famine.
A son état un jour il pensa par hasard,
On ne peut l’en blâmer : hélas ! c’était trop tard.
Parmi ses débiteurs, l’un tombait en faillite,
Un autre, vrai fripon, se regardait pour quitte.
Ce fut le plus grand nombre. Il n’est pas contesté
Qu’ici-bas le fripon est en majorité.
Aucun d’eux ne payant, notre homme fut en butte
A de nombreux procès qui hâtèrent sa chute.
Il se vit obligé de vendre tout son bien,
Même son mobilier. Il ne lui resta rien ;
Alors à ses regards l’avenir se présente.
Pour pourvoir réparer sa conduite imprudente
Il court chez ses amis qui fuient le malheureux,
Quoi de plus naturel ! Il avait besoin d’eux.
Bientôt de tout côté, la misère l’inonde,
Il pense alors qu’il a des enfants en ce monde.
Las ! il n’était plus temps ; accablé de remords,
Il meurt en leur léguant le plus triste des sorts.
Du reste, son espèce est parmi nous fort rare.
Et le peu qu’on en voit est traité de bizarre ;
Mot certes moins exact, cher lecteur, conviens-en
Que le mot expressif inscrit en commençant
On a dit avant moi, (cela n’a rien d’étrange) :
Qui veut être brebis, bientôt le loup le mange.
“L’Homme trop Bon”