Timoléon Jaubert
Poète, magistrat et fabuliste XIXº – Lisette et Madelon
Mon histoire dit qu’autrefois
Lisette et Madelon, bergères du même âge,
Sur les cœurs régnaient à la fois.
Deux reines, c’était trop pour le même village !
La Discorde riait, chacune ayant sa cour.,
Pour décider des deux qu’elle était la plus belle
Que faire?On composa le tribunal d’amour.
Las ! bien grave était la querelle :
Lisette et Madelon avaient mêmes cheveux,
Mêmes lèvres à demi closes,
Mêmes fossettes, mêmes roses,
Même sourire, mêmes yeux,
Même main, même pied je pense !.
Il existait, dit-on , un cas de préférence ;
Sur quel point ? Foi d’historien,
Très humblement je n’en sais rien.
Il fallait en finir. Sous le dôme d’un hêtre,
Un jour se réunit le concile champêtre.
De droit, le président était un vieux garçon.
« Approchez, dit-il, Madelon.
« Sur mon procès-verbal que j’inscrive vos charmes. »
Madelon comparut en soldat sous les armes,
Le corset rebondi, l’œil fixe, bien fendu,
Nez au vent et jarret tendu.
Puis elle minauda, joua de la prunelle :
« Comment me trouvez-vous ? » – « Très-bien, mademoiselle !
« Je n’y vois pas très clair ; ce voile me fait mal,
« Je tiens à l’effacer de mon procès-verbal. »
-« Effacez-le, Monsieur. » – « Mais où donc est Lisette. »
– Lisette s’avançait pâle, baissant la tête.
« Hum ! fit le président, vous êtes en retard ;
Cette injure, sans doute, est l’effet du hasard.
Pour le procès pendant vous montrez peu de zèle ? »
– « Je l’avais oublié, dit-elle. »
Le vieux président pardonna,
Étouffa prudemment un soupir sous sa veste,
Et radieux, il couronna
La plus simple , la plus modeste.
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Sémillantes beautés que je porte en mon cœur,
Retenez bien ceci : La grâce est une fleur.
Sachez la cultiver, mais ne la montrez guère :
On déplaît dès qu’on veut trop plaire !
Timoléon Jaubert