AIR . Cadet Rousel est bon enfant.
Il était un’ reine et un roi
Logeant sus l’ mêm’ carré que moi ;
Ils eur’nt un fils si laid, si laid,
Qu’ c’était un affreux marmouzet.
On l’applait Riquet à la Houppe,
A cause d’un p’tit bouquet d’étoupe
Qui lui servait d’ toupet ;
Il en avait plus qu’on n’ croyait.
Y s’ trouvait là, quand il naquit,
Mam’sell’ Lenormand, qui leur dit :
— Je vois qu’ ce môm’ est très vilain,
Mais qu’il aura d’ l’esprit tout plein ;
A cell’ qui d’viendra son épouse,
Ce garçon-là, comm’ un’ ventouse.
S’il veut, lui soufflera
Autant d’esprit qu’il en aura.
Or, par hasard, dans la mêm’ nuit
Où cet affreux Riquet naquit,
Un magnifiqu’ tambour-major,
Qui demeurait dans l’ collidor,
Devint papa d’un’ demoiselle,
Qu’était belle, oh ! mais qu’était belle !…
Rien qu’ pour l’envisager,
On s’ s’rait passé d’ boire et d’ manger.
Y s’ trouvait là, quand ell’ naquit,
Mam’sell’ Lenormand, qui leur dit :
— Votr’ fille est bell’, ça s’ voit beaucoup,
Maisell’ sera bêt’ comme un chou;
Mais, à son époux, chose heureuse,
Un jour, sans être blanchisseuse,
Je vois qu’ell’ repass’ra
Autant d’ beauté qu’elle en aura.
Ces galopins grandir’nt tous deux.
Au moyen de nourric’s sur lieux ;
Riquet enlaidissait toujours,
Mais il faisait des calembourgs.
La p’tile embellissait sans cesse,
Mais raisonnait comme un’ gross’ caisse,
Puis, ell’ faisait des cuirs
Dans tous ses moments de loisirs.
Allant, un jour, chercher du lait,
Ell’ tomba juste sur Riquet,
Qui lui dit, avec à-propos :
— Mam’sell’, mettez-moi dans vot’ pot,
Ça vous évit’ra de descendre.
Car je suis laid… à vous en r’vendre,
D’ailleurs, il m’ s’rait bien doux,
Mademoiselle d’être bu par vous.
Ell’ lui répond : — J’entends pas l’grec,
Je n’ sais rien et j’ suis bête avec.
— J’ peux vous donner, qu’ Riquet lui dit,
Plusieurs boisseaux de mon esprit :
Jurez-moi d’êtr’ ma légitime,
Et prenez mon esprit comm’ prime,
J’ vous donne, avant d’ choisir,
Quarant’- cinq ans pour réfléchir.
Pensez qu’ dans ces quarant’- cinq ans
Y s’ présenta beaucoup d’ galants;
Son pèr’ lui dit : prends- en donc un;
Elle penchait pour un beau brun.
Quand Riquet, qu’avait d’ la mémoire,
Arrive et lui dit : j’aime à croire,
Qu’ vous avez fait vot’ choix !
Ell’ lui dit – c’est pas toi, chinois !
— Convenez – en, pour mon époux,
Puis-je prendre un magot comm’ vous?
Ça s’rait prêter, mon p’tit Riquet,
Votre esprit à gros intérêt !
—Ah! si n’faut qu’êtr’beau pour vous plaire,
Lui dit Riquet, votre notaire
M’a dit qu’ vous aviez l’ don
De me changer en Cupidon.
Comme il y avait donné d’ l’esprit,
Aussi beau qu’ell’ elle le rendit !
Le roi-z-et le tambour-major
Fir’nt le r’pas d’ noc’ dans l’ collidor
On y dansa la boulangère.
Si bien que le propriétaire
Leur dit : je n’ veux plus d’ vous.
Envoya coucher les époux.
MORALITÉ.
Ça prouv’ qu’on peut êtr’ bête ou laid,
Sans l’être autant qu’on le paraît ;
Reste à savoir lequel des deux
D’ l’être ou de l’paraître vaut mieux.
L’amour, qui n’ porte pas d’ lunettes,
Ne vous voit pas tel que vous êtes,
Et, grâce à son bougeoir,
Chacun à sa manièr’ de voir.
La la la la la la la la !
Charles Delange.
La musique, arrangée par M. Charles Plantade, se trouve chez MM. Meissonnier et fils, éditeurs. 22, rue Dauphine, à Paris. Riquet à la Houppe