Un mulet dans une écurie.
Avec un âne était de compagnie,
Tous deux mangeant au môme râtelier.
Dom mulet, fier, portant la tête haute,
Ainsi qu’un grand chancelier,
Rongeait son frein de se voir côte à côte
D’un baudet. — Ne peux-tu plus loin,
Dit-il, aller manger ton foin,
Sot animal, espèce misérable,
Et m’épargner ta présence à ma table ?
— Votre table ? Répond Martin, j’en suis fâché ;
Mais elle est mienne aussi bien qu’elle est vôtre,
Tout comme vous m’y trouvant attaché ;
Or bien mieux vaut nous y souffrir l’un l’autre,
En y mettant tous deux du nôtre,
Que de nous chamailler pour un si vain sujet.
C’était fort bien parler pour un baudet.
En ce moment, entre dans l’écurie
Un beau cheval de luxe, au fin jarret,
À l’œil ardent, cheval de Normandie,
Qu’un conducteur attache à côté du mulet.
— Quoi ! lui dit le coursier, vous me faites l’outrage
De m’accoler à ce vil personnage !
A ce bâtard, moi, vrai pur sang,
Descendant en ligne directe
Du fameux cheval bas-normand
De Guillaume-le-Conquérant !
Ma naissance n’est pas suspecte ;
Pourrait-il en dire autant ?
Ce n’est pas moi qu’à ce point l’on dégrade.
Et le voilà regimbant et lançant
Mainte ruade
A dom mulet,
Qui repasse la bourrade
À Martin baudet.
Hélas ! S’il n’a les coups, à lui le ricochet !
Au bruit de cette algarade
À grands coups de fouet le garçon
Vient les mettre à la raison.
Orgueil ! Humaine sottise !
Tu te montres dans tous les rangs !
Tel qui les petits méprise,
Est à son tour méprisé par les grands !
“Un Âne, un Mulet et un Cheval”