Un jeune homme se promenait,
Il était morose et venait,
Tout près des bords fleuris d’une large rivière,
Fuir ses ennuis à sa manière…,
Ou plutôt les envenimer ;
La solitude ne sait guère
Donner le baume nécessaire
Aux douleurs qui la font aimer;
Mieux vaut tâcher de se distraire.
Quel bon médecin que le temps!
Enfin, tout plein de ses tourments,
Notre homme regardait à peine
Une grande et riante scène.
Cependant il crut voir, dans les flots, s’agiter
Un être humain. Bien vile il s’avance, il se jette
Dans le gouffre; rien ne l’arrête,
Et celle que les flots étaient près d’emporter,
Jeune fille imprudente, est par lui déposée
Sur le sable, tout épuisée.
— Je me baignais, dit-elle, un rapide courant,
Sans vous eût terminé ma vie.
Me pourrai-je acquitter au gré de mon envie ?
Je suis libre et mon cœur… mais vous semblez souffrant. –
— Vous m’offrez le bonheur… Non, c’est trop tard, mon âme
Ne peut plus l’obtenir des bienfaits d’une femme. —
— Ah ! si vous saviez qui je suis
Vous m’estimeriez davantage.
Écoutez-moi bien : je m’engage
A terminer tous vos ennuis.
Pour rendre heureux celui que j’aime.
Je ne saurais offrir rien de plus que moi-même ;
Mais son bonheur est assuré.
Il m’aimera, bon gré, mal gré :
Sans jamais demander, je donne ;
Quoi qu’on me fasse je pardonne :
Ennuis, plaisirs, espoirs, pleurs, j’en prends la moitié,
En doublant les plaisirs, en guérissant les peines ;
Je n’offre que des fleurs pour chaînes :
En un mot, je suis l’Amitié….
Le moyen de ne pas accueillir ce langage?…
L’Amitié pour épouse ! Ah ! le divin ménage !
Et ce bonheur n’est pas le mien !….
En vain je vais cherchant de rivage en rivage.
Hélas! je ne découvre rien.
“Une jeune Fille qui se noie”
- Alexis Rousset , 1799 – 1885