Daniel Allemand
Fabuliste contemporain – Édito – Vous avez dit : fabuliste ?
Daniel Allemand, né à Grenoble, études à Champollion, licencié d’Histoire et Géographie, j’ai exercé de multiples activités, de l’éducation nationale au monde des assurances puis de la finance, en m’impliquant aussi dans la vie publique de ma commune. Depuis les années 2000 je me consacre à l’écriture (romans et poésie) et au dessin (encres de chine et aquarelles)… la suite sur le blog…
Vous avez dit : fabuliste ?
Le rôle essentiel du fabuliste est de plaire et d’instruire en amusant. D’après son étymologie, le mot fable signifie une histoire racontée. Il s’agit souvent d’un récit d’imagination basé sur le vrai, mais qui peut être aussi mensonger, car l’intention reste d’exprimer une vérité générale qui aboutisse sur une morale. Nous sommes tous moralement actifs, car la vie est imbibée de morale, et tout naturellement la vie s’implique dans la littérature. L’écriture rythmant quotidiennement la vie active, l’écrit ainsi captive le genre humain, pour son art, pour sa fonction. Il en est ainsi depuis des lustres. Le poète latin Horace a dit : « La littérature veut instruire ou plaire ; parfois son objet est de plaire et d’instruire en même temps.» Il est vrai que l’écrit instruit, transmet des idées, des avis, des conceptions éthiques ; et c’est bien tout ce que cherche à faire l’apologue, ce court récit qui illustre une maxime ou un enseignement moral, qui reste la base du « fonds de commerce » de tout fabuliste ou conteur. Néanmoins il existe une grande différence entre la fable et le conte philosophique, deux formes littéraires qui visent toutes deux l’éveil du lecteur sur un sujet de réflexion en les distrayant.
Le fabuliste distille des textes destinés à l’enfant qui sommeille au fond de nous. Il se positionne le plus souvent sur la dualité du bien et du mal, mettant l’exergue sur l’importance du choix, offrant la distraction par l’entremise de scénettes pour favoriser le sens ; contrairement au conte philosophique qui, lui, a une véritable portée didactique de vérité absolue (Le Petit Prince, l’alchimiste). Mais si l’on pousse l’investigation, la fable ne s’adresse souvent qu’aux vrais enfants, favorisant l’historiette au principe éthique – comme au théâtre de Guignol -, en mettant en scène des animaux dont l’auteur humanise leurs comportements afin de mieux les distraire, les envoûter au comique de situation, et favoriser leur imaginaire. Les fables offrent ainsi des rencontres incroyables, des histoires merveilleuses, des antagonismes impensables, aux effets comiques incisifs. Mais elles peuvent aussi viser de façon didactique et critique un public plus averti. Là, sa forme poétique l’emporte, l’auteur s’impliquant par son propre ressentiment sur le sujet qu’il traite. A contrario, le conte philosophique tout en s’inspirant du genre de la fable pousse le lecteur à la réflexion ; Il l’interpelle en lui évoquant des aventures de personnages humains bien définis et structurés en titillant son raisonnement de lecteur. Le conte met la philosophie à la portée de tous, mais la raison, la logique et la loi doivent essentiellement en émerger. Dans les deux genres littéraires, les auteurs cherchent avant tout à capter l’attention du lecteur, pour dans un second temps l’informer. La fable le fait par le truchement théâtral et du recours à la morale. Il s’agit d’indiquer ce qui relève d’une conduite sage et réfléchie en proposant une réalité crédible. La fable est ainsi pratique pour éduquer les enfants, comme en a témoigné La Fontaine en instruisant le dauphin grâce aux siennes. Mais elle enseigne aussi les adultes éclairés de ce qui est fortement déconseillé de faire, dans une société constituée et ordonnée. Tout comme la fable, le conte philosophique transmet au lecteur des arguments pour l’initier aux profits de la sagesse, du savoir et du raisonnement logique, avec l’obligation pour le lecteur de se forger son propre discernement, en développant son esprit critique. Ici réside la différence essentielle entre les deux genres en privilégiant dans le conte la raison plutôt que la croyance, la réalité plutôt que l’imaginaire.
Enfin, il existe un point capital, l’avantage de la fable réside dans le fait qu’elle est toujours brève, favorisant une lecture facile ; elle ne développe pas forcément l’argumentation, mais reste persuasive. Elle peut être alors une chronique de son temps mettant en scène des personnages réels ou fictifs, évoquant des faits sociaux historiques et authentiques ou des nouvelles vraies ou fausses colportées oralement. C’est ce qui lui a valu ses plus farouches critiques qui cherchèrent dès lors à dévaloriser son genre littéraire. Mais c’était omettre l’enchantement que la fable dissimule derrière les animaux, comme au jeu du portrait chinois, variante du jeu littéraire ancien du jeu des énigmes ; une technique d’étude qualitative et de créativité, transposant le thème étudié dans un univers amusant différent, facilitant l’étalage de tout sujet en s’évitant les critiques ou poursuites. La fable reste aussi ouverte à toute invraisemblance, ce qui en fait aussi son charme ; le comble c’est que parfois sa morale peut-être à contre-courant (la cigale et la fourmi). La fable fait encore appel aux croyances, aux opinions, aux mythes et traditions qui relèvent du Sacré, ce qui rend la part encore plus belle au merveilleux. Ses détracteurs diront que le conte philosophique voue au pilori la paresse de la pensée, affirmant que si cette dernière n’est pas exigeante, elle ne poussera pas à la raison pure qui seule vaut force de loi pour atteindre vérité et sagesse.
Finalement a-t-on besoin d’éveiller la raison pour affirmer que « le borgne est roi entre les aveugles » ou bien que « Sans l’amour et la folie, il n’est point de moments heureux » ? Voilà pourquoi on se complet à travers les fables dans la facilité des rêves de notre âme d’enfant éveillé et amusé qui ne va pas jusqu’à la catharsis que recherche chaque fois le conte philosophique ; la fable plait en instruisant facilement. Dans la fable, il ne s’agit pas d’acquisition d’un savoir purement théorique mais de l’affinement de notre perception et de notre compréhension morales, qui se réalise en s’amusant.
Ainsi pour le fabuliste, toute fable n’est-elle pas un mensonge qui dit la vérité ?…
Daniel Allemand, novembre 2017.