Agnès, à quatorze ans, avec naïveté
Demandoit un jour à sa mère :
Qu’est-ce donc que la volupté ?
Eluder de répondre en pareille matière ,
N’auroit fait qu’irriter la curiosité.
Par ce trait de moralité
La maman se tira d’affaire.
Cette volupté-là qui vous tient en souci,
Ma chère enfant, n’est qu’une rose.
Ah ! dit Agnès, s’il est ainsi ,
Maman, ce n’est donc pas grand’chose :
N’importe, je prétends en essayer soudain.
Vite elle descend au jardin,
Cueille à son gré la plus brillante,
Dont l’éclat l’éblouit & le parfum l’enchante.
C’est peu de la placer au sein ,
Sur le chevet du lit le soir on la dépose :
Car comment se coucher & dormir sans la rose ?
Mais quelle est sa surprise , hélas! à son réveil,
Quand elle s’apperçoit que d’une fleur si belle
Il ne lui reste plus qu’une épine cruelle!
C’est un tour qu’on lui joue, un affront sans pareil ;
Elle court s’en plaindre à sa mère,
Qui lui répond: point de colère;
Je vous ai dit la vérité;
Ma fille, de la volupté
La rose est l’image fidelle.
La volupté séduit par mille & mille attraits;
Mais bientôt elle passe , & ne laisse après elle
Qu’épines & regrets.
“Agnès et sa mère”
Claude Fleury – 1640 – 1723