Pendant le cours d’un sommeil gracieux ,
Dont me favorisoit l’indulgente nature ,
Je ne sçais par quelle avanture ,
Esope se montre à mes yeux ;
Dans sa difformité son air ingénieux ,
L’habit d’esclave , la manière ,
Bosse devant, bosse derrière :
Le tout me fait connoître au mieux ,
Que c’est l’esclave de Phrigie ,
Dont l’adroite Philosophie
Sçut donner la parole aux plus vils animaux.
Sans m éveiller il m’adresse ces mots :
Tu passes doucement la vie
Dans l’innocente Compagnie
Des Quadrupèdes , des Oiseaux ;
Tu pourras, si tu veux t’instruire ,
Prendre chez eux pour te conduire ,
Des préceptes toujours nouveaux.
Lorsque je vivois à Samos ,
Ils m apprirent à me connoître :
Des mœurs je pris chez eux les principes certains,
Et sans trop m ériger en maître,
Par leurs discours j’instruisis les humains,
Socrate en prison dans Athene
Se consola par leurs leçons ,
D’une mort honteuse & certaine;
Il mit ma doctrine en chansons,
Et s’offrit au trépas sans peine.
Ami, tu peux dans ton loisir
Imiter le divin Socrate ,
Et te faire un charmant plaisir
De rimer un sujet qui t’instruit & te flatte;
Tu peux dans mes Fables choisir,
Pour apprendre à braver la mort qui t’environne.
Cette parole qui m’étonne,
Me fait éveiller en sursaut ;
J’ouvre les yeux & regarde aussi-tôt,
Croyant voir la mort en personne ;
Je ne vois rien, sauf un livret
Qu’Esope a mis sous mon chevet ;
Je l’ouvre & sans délai je me mets à le lire.
De ses fables c’étoit un galant cannevas ;
En les lisant j’y trouvai tant d’appas
Que je voulus en rimes les traduire.
Grâce à Phœbus , j’en fus le Traduteur,
Et je les offre à mon Lecteur,
Ce qu’il trouvera bon, est d’Esope & non d’autre ;
Et tout le mauvais sera nôtre;
C’est mon prélude, & ne veux en Auteur,
Pour couvrir mes défauts, chercher un protecteur.
- Pierre de Frasnay – (1676 – 1753)