Sous un ciel serein et tranquille,
Au sein d’un champêtre séjour.
Loin des vains plaisirs de la ville,
Et loin des pièges de l’amour,
Chloé, naïve, jeune et belle,
Voyait couler ses jours heureux.
Aussi beaux, aussi simples qu’elle ;
Là, dérobée à tous les yeux,
Par les soins d’une tendre mère,
Chloé, sans désirs, sans regrets,
Respirait un air salutaire
A ses mœurs, comme à ses attraits.
Le vif éclat qui la colore
N’est que le teint de la pudeur ;
Son oreille n’a point encore
Goûté le poison enchanteur
Des soupirs, des tendres alarmes :
Elle ignore qu’elle ait un cœur,
Et soupçonne à peine ses charmes.
Seule dans le fond d’un bosquet,
Près du cristal d’une onde pure,
Elle assortissait un bouquet
Pour en composer sa parure :
La belle, d’un air enfantin,
Comparait avec avantage
Le lis et la rose à son teint,
Et souriait à son image.
Un papillon, au même instant.
Déployait ses ailes légères,
Et de ses ardeurs passagères
Promenait l’hommage inconstant :
Tout l’attire, et rien ne l’arrête :
Il parcourt d’un air de conquête
Tous les appas de chaque fleur :
Ici, son audace indiscrète
De la timide violette
Caresse la vive fraîcheur ;
Là, du sein de la tubéreuse,
Sa témérité plus heureuse
Presse l’orgueilleuse blancheur.
Aussitôt, d’une aile infidèle,
Il court à la rose nouvelle ;
Il baise son bouton naissant,
Et, toujours brillant et frivole,
Il paraît, jouit et s’envole.
Chloé voit l’insecte éclatant,
Et sa parure, étincelante
D’azur, de pourpre et de rubis,
Enchante ses yeux éblouis :
Sa petite âme impatiente
Brûle aussitôt de s’en saisir ;
Dans le vif transport qui l’agite
De son jeune sein qui palpite
S’échappe son premier soupir.
Aussi légère que les Grâces,
Du rival errant du Zéphir
Elle poursuit longtemps les traces.
Souvent, dans son vol incertain,
Il s’arrête : la nymphe agile
Accourt, le guette, étend la main ;
Mais le superbe volatile
Dans les airs s’élance soudain.
Tour à tour flattée et trompée,
Elle suit sa proie échappée ;
L’infidèle se fixe enfin
Sur la belle et pâle jonquille.
On dirait que la tendre fleur
Ranime au gré de son vainqueur
Le faible éclat dont elle brille.
Du triomphe il goûte le prix.
Chloé vole, approche : il est pris.
S’agitant, débattant de l’aile
Pour briser sa captivité :
” Rendez-moi, dit-il à la belle,
Ah ! rendez-moi la liberté ;
Rougissez de votre victoire.
Qu’attendez-vous de mes liens ?
Mes ailes font toute ma gloire ;
Quelque éclat, voilà tous mes biens ;
Eblouir est ma destinée :
Je vis sans projet, sans amour,
Et mon existence bornée
N’est que l’amusement d’un jour. ”
A ces mots, la nymphe ingénue
S’attendrit pour son beau captif :
Le trouble de son âme, émue,
Favorise le fugitif ;
Il s’échappe. Chloé soupire :
Sur les boucles de ses cheveux,
Balançant son vol amoureux.
Voici ce qu’il ose lui dire :
« Seule en ces lieux vous respirez,
Chloé, la paix et l’innocence ;
Bientôt, loin des jeux de l’enfance,
Dans le monde vous brillerez :
C’est là que vous rencontrerez
Un être frivole, infidèle,
Et paré de mille couleurs ;
Il voltige de belle en belle.
Ainsi que moi de fleurs en fleurs,
Et je suis en tout son modèle.
Ah ! si, vous laissant éblouir,
Vous brûlez un jour de jouir
De cette nouvelle victoire,
D’une si folle ambition,
Chloé quelle sera la gloire ?
Vous aurez pris un papillon. »
“Chloé et le Papillon”