Fables de l’Académie des jeux floraux
Présentée au Concours ; par M. ***
Colomb, le vieux marin, dormant au bruit de l’onde.
Dans un rêve sublime entrevoyait un monde;
Dieu même, illuminant son esprit incertain,
Le lui montrait visible à l’horizon lointain.
Il se rend en Espagne, et, sûr de son étoile,
En échange d’un monde il demande une voile;
Maïs le roi Ferdinand lui refuse un appui :
(Les rois étaient alors ce qu’ils sont aujourd’hui).
Cet homme, disait-il, rêve ou bat la campagne.
Oui, Sire, répétaient les courtisans d’Espagne,
Cet homme est plus que fou. — Le grand homme outragé
Prouva qu’ils avaient seuls le cerveau dérangé.
Enfin, par Isabelle, il obtint une flotte…
Il parti… Déjà tout cède h la voix du pilote
Le vent souffle… La mer balança ses vaisseaux.
C’était beau de le voir, sur l’abîme des eaux,
Naviguant plus hardi que les vieux Argonautes!
Les matelots chantaient en s’éloignant des côtes,
Effrayante agonie, où tout nous dit adieu,
Où l’homme abandonne n’a plus qu’à prier Dieu !
Cependant l’ouragan cesse, le danger passe,
Le tonnerre épuisé s’éloigne dans l’espace,
Le soleil resplendit, l’air chasse la vapeur;
Mais l’orage, en fuyant, leur a légué la peur,
La peur! danger plus grand que la mer et l’orage !..
Ces hommes qui naguère étaient pleins de courage,
Demandent à présent que l’on retourne au port :
Ils ne voient plus la gloire, ils ne voient que la mort.
Colomb n’écoute rien, ni larme, ni prière;
Que devient son projet s’il retourne en arrière ?
Aussi, riant des flots, de la foudre et du vent : ”
Un monde est là, dit-il ; nous irons en avant! »
Et toujours, sur la mer, ballotté comme l’arche,
Il s’avance, il s’avance, et dirige sa marche…
Où s’arrêtera-t-il ? Ce qu’il cherche aujourd’hui
Semble, de plus en plus, reculer devant lui.
Des flots! toujours dos flots! Mais l’Océan immense
Lui cache eu vain la rive où la terre commence…
Colomb ira toucher à son extrémité;
Son génie est plus grand que cette immensité!
Cependant, effrayés de la sublime audace,
Les marins contre lui murmurent à voix basse.
Ils trament un complot sinistre et meurtrier…
« Cet homme, disent-ils, est un aventurier;
« Où sont-ils ces pays qu’il ne sait que promettre? »
Et ce bruit va grondant à l’oreille du maître.
Qu’il dut souffrir alors le grand homme insulté!
Voilà bien de les traits, ingrate humanité!
En tout temps et partout je te vois, dans l’histoire,
Immoler le génie à qui tu dois ta gloire!
Colomb, sans s’émouvoir, boit ce calice amer.
Lui, dont l’intelligence a mesuré la mer,
Regarde en souriant cette foule insensée
Dont l’esprit est si loin de sa grande pensée;
Il ne sent dans son cœur ni haine ni mépris:
« Pardonnons-leur, dit-il, ils ne m’ont pas compris. »
Son âme a tressailli : la terre n’est pas loin.
Bientôt, sur l’Océan , succède à ce témoin
Un rameau tout chargé de fruits et de feuillage ;
Colomb va s’en servir pour calmer l’équipage.
Il s’approche, il se penche et le prend dans sa main :
« Compagnons, leur dit-il, attendez à demain !
« Demain, vos cris joyeux salueront le rivage ! »
Il dit, et leur montrant ce bois d’heureux présage,
Il l’agile dans l’air!… Il veut que, désormais,
Ce rameau soit par eux l’olivier de la paix.
Mais demain par malheur fut semblable à la veille.
Alors, de tous côtés, leur fureur se réveille;
Tous ces hommes sans loi, l’un par l’autre animés,
L’entourent l’œil ardent et les deux poings fermés;
A leur aveugle rage il faut une hécatombe.
« A l’eau ! s’écriaient-ils, que la mer soit sa tombe! »
Et ces mots comme un glas retentissaient à bord.
Mais tandis qu’on s’apprête à lui donner la mort,
Le grand homme impassible et l’œil fixé sur l’onde,
Leur montre à l’horizon les bords du nouveau Monde!…
Un jour que son regard interrogeait la nue,
Il rencontre un oiseau d’une espèce inconnue.
Ainsi sera conquis le but où nous allons.
En vain, toujours hostile à la pensée humaine,
La peur à notre nef s’attelle à reculons:
Devant nous est un monde où le progrès nous mène !
“Christophe Colomb”
Recueil de l’Académie des jeux floraux – 1856