Pierre Louis Solvet
Homme de lettres, écrivain et analyses des fables
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812
Contre ceux qui ont le goût difficile.
Contre ceux qui ont le goût difficile – Quoique La Fontaine donne à celle petite pièce le titre de Fable, ce n’est, à proprement parler, qu’un Prologue, mais un Prologue charmant, écrit avec un aimable abandon, et semé de traits que tous les lecteurs ont retenus, tels que ceux-ci :
Le mensonge et les vers de tout temps sont amis.
On le peut, je l’essaie ; un plus savant le fasse,
……Les arbres et les plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes, etc., etc.
On retrouve quelques idées de ce Prologue dans l’épilogue du 11e. livre, qui, dans l’origine, devait être celui de tout l’œuvre des Fables. Mais ce qui caractérise d’une manière toute particulière ce prélude poétique, ce qui, suivant nous, en fait un des principaux agréments, c’est la longue période, comme l’appelle son auteur, sur le fameux siège de Troie, dans laquelle il se livre à tout son enjouement. On a pu remarquer combien son imagination se complaît dans le souvenir de cette grande époque, au milieu des personnages fameux de ces temps héroïques, par les fréquentes allusions qu’ils lui fournissent en maint endroit de ses Fables et de ses autres œuvres. Un de ses derniers Contes, celui du Fleuve Scamandre, où sa muse a trouve enfin un champ libre sur cet objet de prédilection , nous révèle à cet égard tout lé secret de son âme, quand on l’entend s’écrier :
Lion, ton nom seul a des charmes pour moi !
Lieu fécond en sujets propres à notre emploi »
Ne verrai-je jamais rien de toi,ni la place
De ces murs élevés et détruits par les Dieux,
Ni ces champs où couraient la fureur et l’audace,
Ni des temps fabuleux, enfin, la moindre trace
Qui pût me présenter l’image de ces lieux !
Combien n’aime-t-on pas a retrouver ces doux épanchements chez les poètes véritablement inspirés ! Tels sont : O rus! quando te aspiciam ! dans Horace ; O ubi campi !… O gui me gelidis infontibus Hoemi sistat ! au 2e., livre des Géorgiques ; enfin les regrets que l’immortel traducteur de ce chef-d’œuvre exprime au 2e. chant de ses Jardins :
Hélas ! je n’ai point vu ce séjour enchanté,
Ces beaux lieux où Virgile a tant de fois chanté !
Chamfort ne dit rien de ce Prologue. Il est vrai que, dirigé contre ceux qui ont le goût difficile, la tâche du commentateur, en 1 examinant, devenait très-délicate; c’eût d’ailleurs été contrarier l’intention du poète, qui, dans cette pièce au moins, prétend avoir ses coudées franches, se montre peu disposé à souffrir la critique ,, et s’apprête a riposter au premier éplucheur de rimes illégitimes qui s’avisera de l’interrompre, par ce trait à bout portant :
Maudit censeur, te tairas-tu?
Ne saurait-je achever mon Conte?