“De la Grenouille et du Boeuf” – La Grenouille ayant un jour aperçu un Boeuf qui paissait dans une prairie, se flatta de pouvoir devenir aussi grosse que cet animal. Elle fit donc de grands efforts pour enfler les rides de son corps, et demanda à ses compagnes si sa taille commençait à approcher de celle du Bœuf. Elles lui répondirent que non. Elle fit donc de nouveaux efforts pour s’enfler toujours de plus en plus, et demanda encore une autre fois aux Grenouilles si elle égalait à peu près la grosseur du Bœuf. Elles lui firent la même réponse que la première fois. La Grenouille ne changea pas pour cela de dessein ; mais la violence qu’elle se fit pour s’enfler fut si grande, qu’elle en creva sur-le-champ.
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Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Ne se comparer à plus grand que soy.
Tout homme qui s’exaltera
En fin humilié sera,
Mais celluy sera exalté
Qui vivra en humilité.
De la Grenoille et du Boeuf
Lez ung estang quelque Bœuf cheminoit,
Et la Grenoille en ce lieu se ienoit,
Laquelle veid du Bœuf la grandeur haulte.
Lors par orgueil s’enfle, se monstre, et saulte
Contre le Bœuf qui vers elle venoit.
Elle vouloit à luy s’esquiparer,
Et comme grande et forte préparer.
Son filz luy dict ainsi que bien apris;
“Mere, sachez que n’estes riens au pris
De ce grand Bœuf, pour vous y comparer.
” Ce nonobstant la Grenoille s’enfla
Et d’ung despit contre le Bœuf soufla.
Son filz luy dict : « Mere, vous creverez,
Et de ce Bœuf victrice ne serez, »
Mais à ce mot de plus en plus ronfla.
Par fier desdaîng et ire, qui surmonte
Le jugement et aveugle la honte,
Enfla son ventre, et sur piedz se leva;
Mais tout soubdain par le meilleu creva.
A ce moyen fut bien loing de son compte.
On void cela bien souvent advenir
Que le petit qui se veult maintenir
Comme les grands, toute honte et dommaige
Tumbe sur luy à son desavantaige,
Et à bon droict meschef luy peult venir.
- Gilles Corrozet (1510 – 1568)
De la Grenouille, & du Boeuf
La Grenouille avoit un si grand desir de devenir aussi grosse que le Bœuf, qu’elle faisait un estrange effort , & le roi-dissoit en tous ses membres : de quoy son fils s’estant apperçeu, Ma Mère , luy dit-il, quittez, moy la cette entreprise ; il n’y a nulle comparaison d’une Grenouille à un Bœuf. Elle toutes-fois n’en voulut rien croire, & s’enfla derechef plus qu’auparavant : ce qui fit peur à son fils, qui pour ne la perdre; Ma Mère, luy cria-t’il derechef, vous crèverez, plustost que de surmonter le Bœuf: Comme en effet, elle ne tarda guère à crever, aprés qu’elle eut fait un troisiéme effort.
- Jean Baudoin – (1590 – 1650)
La Grenouille et le Boeuf
La grenouille superbe, en vain tâche de s’enfler
Pour atteindre la taille d’un bœuf. Elle n’y peut aller ;
Mais en simple grenouille au marais élevée,
N’est dans son espèce qu’une grenouille crevée.
Le marquis fait le duc, le duc fait le prince ;
Chacun s’enfle, et enfin chacun devient si mince,
Qu’ainsi que la grenouille, il crève avec éclat.
On se perd à vouloir sortir de son état.
- Isaac de Benserade – (1612 – 1691)
La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Boeuf
Une Grenouille vit un Boeuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille,
Pour égaler l’animal en grosseur,
Disant : “Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ?
– Nenni. – M’y voici donc ? – Point du tout. – M’y voilà ?
– Vous n’en approchez point.”. La chétive pécore.
S’enfla si bien qu’elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)
La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf
Une grenouille vit un bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille,
Pour égaler l’animal en grosseur ;
Disant : – Regardez bien, ma sœur,
Est-ce assez ? Dites-moi : n’y suis-je point encore ?
– Nenni. – M’y voici donc ? – Point du tout. – M’y voilà ?
Vous n’en approchez point. – Eh bien ! Je le déplore,
Mais je ne veux rien risquer au delà.
Dans les marais où ma famille grouille,
Je produirais toujours un effet assez neuf,
Et, si je ne suis pas grosse comme un bœuf,
Je resterai du moins la plus belle grenouille.
Il faut toujours lutter avec les grands,
S’élever autant que possible,
Tout en songeant qu’il est nuisible
De ne pas s’arrêter à temps.
- Aurélien Scholl – (1833 – 1902)