Ne se comparer à plus grand que soy.
Tout homme qui s’exaltera
En fin humilié sera,
Mais celluy sera exalté
Qui vivra en humilité.
De la Grenoille et du Boeuf
Lez ung estang quelque Bœuf cheminoit,
Et la Grenoille en ce lieu se tenoit,
Laquelle veid du Bœuf la grandeur haulte.
Lors par orgueil s’enfle, se monstre, et saulte
Contre le Bœuf qui vers elle venoit.
Elle vouloit à luy s’esquiparer,
Et comme grande et forte préparer.
Son filz luy dict ainsi que bien apris ;
“Mere, sachez que n’estes riens au pris
De ce grand Bœuf, pour vous y comparer.
Ce nonobstant la Grenoille s’enfla
Et d’ung despit contre le Bœuf soufla.
Son filz luy dict : « Mere, vous creverez,
Et de ce Bœuf victrice ne serez. »
Mais à ce mot de plus en plus ronfla.
Par fier desdaîng et ire, qui surmonte
Le jugement et aveugle la honte,
Enfla son ventre, et sur piedz se leva ;
Mais tout soubdain par le meilleu creva.
A ce moyen fut bien loing de son compte.
On void cela bien souvent advenir
Que le petit qui se veult maintenir
Comme les grands, toute honte et dommaige
Tumbe sur luy à son desavantaige,
Et à bon droict meschef luy peult venir.
Note :
Il nous semble que cette fable est narrée avec beaucoup d’art et de talent, et qu’il y a même des traits que l’on regrette de ne pas trouver dans La Fontaine, tels que le lieu de la scène si bien établi près d’un étang. Cette leçon du fils, qui fait mieux ressortir la sottise de la mère, ces sauts que la grenouille fait contre le bœuf comme pour se grandir, la manière dont elle se dresse sur ses pieds pour mieux s’enfler : tout cela fait tableau ; et la coupe des vers, brisée et pénible vers la fin, peint à merveille les efforts que fait le reptile pour se grossir . (Cours de littérature profane et sacrée, Volume 2 – Bohaire, 1833)
“De la Grenoille et du Boeuf.”
- Gilles Corrozet (1510 – 1568)