L ‘Homme sans mérite qui vante sa gloire en paroles trompe ceux qui ne le connaissent pas, est la risée de ceux qui le connaissent. Le Lion, voulant chasser en compagnie de l’Âne, le couvrit de ramée et lui recommanda d’épouvanter les Animaux du son inaccoutumé de sa voix afin de les arrêter au passage. Celui-ci dresse de toutes ses forces ses oreilles avec une clameur soudaine et terrifie les bêtes de ce prodige d’un nouveau genre. Tandis qu’épouvantées elles gagnent leurs issues habituelles, le Lion les terrasse d’un élan terrible. Quand il fut las de carnage, il appela l’Âne, lui dit d’étouffer ses cris. Alors l’autre, insolemment : ” Comment trouves-tu cet effet de ma voix ? – Merveilleux, dit le Lion, au point que, si je n’avais connu ton caractère et ta race, j’aurais été pris de la même erreur. “
Autre version
” Le Lion et l’Ane chassant en compagnie “ – Le lion et l’âne, ayant lié partie ensemble, étaient sortis pour chasser. Étant arrivés à une caverne où il y avait des chèvres sauvages, le lion se posta à l’entrée pour guetter leur sortie, et l’âne, ayant pénétré à l’intérieur, se mit à bondir au milieu d’elles et à braire pour les faire fuir. Quand le lion en eut pris la plus grande partie, l’âne sortit et lui demanda s’il n’avait pas bravement combattu et poussé les chèvres dehors. « Sache bien, répondit le lion, que tu m’aurais fait peur à moi-même, si je n’avais pas su que tu étais un âne. »
C’est ainsi que les gens qui se vantent devant ceux qui les connaissent prêtent justement à la moquerie.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Asinus et Leo venantes
Virtutis expers, verbis iactans gloriam,
Ignotos fallit, notis est derisui.
Venari asello comite cum vellet leo,
Contexit illum frutice et admonuit simul
Ut insueta voce terreret feras,
Fugientes ipse exciperet. Hic auritulus
Clamorem subito totis tollit viribus,
Novoque turbat bestias miraculo:
Quæ, dum paventes exitus notos petunt,
Leonis adfliguntur horrendo impetu.
Qui postquam cæde fessus est, asinum evocat,
Iubetque vocem premere. Tunc ille insolens
Qualis videtur opera tibi vocis meæ?
Insignis inquit sic ut, nisi nossem tuum
Animum genusque, simili fugissem metu.
- Phedre – (14 av. J.-C. – vers 50 ap. J.-C.)
Le Lion et l’Ane chassant
Le lâche qui se vante de hauts faits peut abuser qui ne le connaît pas, mais il est la risée de ceux qui le connaissent.
Le Lion, voulant chasser en compagnie de l’Âne, le couvrit de feuillage, et lui recommanda de braire à épouvanter les animaux, plus que de coutume, tandis que lui les saisirait au passage. Le chasseur aux longues oreilles se met à crier de toutes ses forces, et, par ce nouveau prodige, effraye les animaux. Tremblants, ils cherchent à gagner les issues connues du bois; mais le Lion d’un bond impétueux les terrasse. Las du carnage, il appelle l’Âne et lui ordonne de se taire. Alors celui-ci lui dit avec arrogance: « Comment trouvez-vous les effets de ma voix? — Merveilleux, dit le Lion, et tellement, que, si je n’avais connu ton courage et ta race, j’aurais fui de peur comme les autres. »
- Fable de Phedre traduite par Ernest Panckoucke (1808 – 1886)
Le Lion et l’Ane chassant
Le roi des animaux se mit un jour en tête
De giboyer: il célébrait sa fête.
Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux,
Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux.
Pour réussir dans cette affaire,
Il se servit du ministère
De l’âne à la voix de Stentor.
L’âne à Messer Lion fit office de cor.
Le lion le posta, le couvrit de ramée,
Lui commanda de braire, assuré qu’à ce son
Les moins intimidés fuiraient de leur maison.
Leur troupe n’était pas encore accoutumée
A la tempête de sa voix ;
L’air en retentissait d’un bruit épouvantable;
La frayeur saisissait les hôtes de ces bois,
Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable
Où les attendait le Lion.
« N’ai-je pas bien servi dans cette occasion ?
Dit l’âne en se donnant tout l’honneur de la chasse.
– Oui, reprit le lion, c’est bravement crié:
Si je ne connaissais ta personne et ta race,
J’en serais moi-même effrayé. »
L’âne, s’il eût osé, se fut mis en colère,
Encor qu’on le raillât avec juste raison ;
Car qui pourrait souffrir un âne fanfaron ?
Ce n’est pas là leur caractère.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)
L’Ane chassant avec le Lion
Sa majesté Lionne étant en belle humeur
Et voulant dissiper l’ennui de la grandeur,
Manda chez elle un Ane éveillé, plein de grâce,
Le prit à son service, et l’admit à l’honneur
De l’accompagner à la chasse.
Le roi des animaux voulait, en giboyant,
Être suivi d’un cor, dont le son effrayant
Donnât l’alarme aux gens, à lui la comédie.
Trompette renommé, Misène d’Arcadie,
L’Ane devait enfler sa redoutable voix,
Et semer la terreur chez les hôtes des bois.
Les voilà l’un et l’autre en quête.
Aliboron, tout fier de son emploi nouveau,
Portait l’oreille droite, et, relevant la tête,
Des arbres les plus hauts semblait toucher le faîte.
Il se croyait déjà devenu Lionceau.
Un Baudet le rencontre… Aurais-je la berlue?
Il a fait, pour un Ane, un fort joli chemin.
Approchons-nous. Bonjour, mon illustre cousin !
Puisqu’un le hasard te présente à ma vue,
Permets que je t’embrasse et que je te salue.
Insolent ! porte ailleurs tes pas,
Répond le parvenu, suffoquant de colère;
Respecte Aliboron, et ne lui parle pas,
Car ce ton familier commence à lui déplaire.
Le Baudet se tint en arrière, Et dit tout bas :
D’un sot j’attendais cet accueil.
Une dignité passagère
L’enfle d’un ridicule orgueil ;
Mais vainement il se pavane !
Il a beau se produire à la cour du Lion,
Et se faire nommer seigneur Aliboron,
Il ne sera jamais qu’un Ane.
- Louis-François Jauffret – 1770-1850
“De l’Âne et du Lion chassant”