Un Avare enfouit son trésor dans un champ ; mais il ne put le faire si secrètement qu’un Voisin ne s’en aperçût. Le premier retiré, l’autre accourt, déterre l’or et l’emporte. Le lendemain l’Avare revient rendre visite à son trésor. Quelle fut sa douleur lorsqu’il n’en trouva que le gîte ! Un dieu même ne l’exprimerait pas. Le voilà qui crie, pleure, s’arrache les cheveux, en un mot se désespère. À ses cris, un Passant accourt. ” Qu’avez-vous perdu, lui dit celui-ci, pour vous désoler de la sorte ? – Ce qui m’était mille fois plus cher que la vie, s’écria l’Avare : mon trésor que j’avais enterré près de cette pierre. – Sans vous donner la peine de le porter si loin, reprit l’autre, que ne le gardiez-vous chez vous : vous auriez pu en tirer à toute heure, et plus commodément l’or dont vous auriez eu besoin. – En tirer mon or ! s’écria l’Avare : ô ciel ! je n’étais pas si fou. Hélas ! je n’y touchais jamais. – Si vous n’y touchiez point, répliqua le Passant, pourquoi vous tant affliger ? Eh, mon ami, mettez une pierre à la place du trésor, elle vous y servira tout autant. ” (De l’Avare et du Passant)
Autre version
” L”Avare “ – Un avare convertit en or toute sa fortune, en fit un lingot et l’enfouit en un certain endroit, où il enfouit du même coup son cœur et son esprit. Tous les jours il venait voir son trésor. Or un ouvrier l’observa, devina ce qu’il en était, et, déterrant le lingot, l’emporta. Quelque temps après, l’avare vint aussi, et, trouvant la place vide, il se mit à gémir et à s’arracher les cheveux. Un quidam l’ayant vu se lamenter ainsi, et s’étant informé du motif, lui dit: « Ne te désespère pas ainsi, l’ami ; car, tout en ayant de l’or, tu n’en avais pas. Prends donc une pierre, mets-la à la place de l’or, et figure-toi que c’est ton or; il remplira pour toi le même office ; car à ce que je vois, même au temps où l’or était là, tu ne faisais pas usage de ton bien. »
Cette fable montre que la possession n’est rien, si la jouissance ne s’y joint.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
L’Avare qui a perdu son Trésor
L’usage seulement fait la possession.
Je demande à ces gens de qui la passion
Est d’entasser toujours, mettre somme sur somme,
Quel avantage ils ont que n’ait pas un autre homme.
Diogène là-bas est aussi riche qu’eux,
Et l’avare ici-haut comme lui vit en gueux.
L’homme au trésor caché qu’Ésope nous propose,
Servira d’exemple à la chose.
Ce malheureux attendait,
Pour jouir de son bien, une seconde vie;
Ne possédait pas l’or, mais l’or le possédait.
Il avait dans la terre une somme enfouie,
Son cœur avec, n’ayant autre déduit)
Que d’y ruminer jour et nuit,
Et rendre sa chevance à lui-même sacrée.
Qu’il allât ou qu’il vînt, qu’il bût ou qu’il mangeât,
On l’eût pris de bien court, à moins qu’il ne songeât
A l’endroit où gisait cette somme enterrée.
Il y fit tant de tours qu’un fossoyeur le vit,
Se douta du dépôt, l’enleva sans rien dire.
Notre avare, un beau jour, ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs : il gémit, il soupire,
Il se tourmente, il se déchire.
Un passant lui demande à quel sujet ses cris.
«C’est mon trésor que l’on m’a pris.
– Votre trésor? où pris? – Tout joignant cette pierre.
– Eh! sommes-nous en temps de guerre
Pour l’apporter si loin? N’eussiez-vous pas mieux fait
De le laisser chez vous en votre cabinet,
Que de le changer de demeure?
Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure.
– A toute heure, bons Dieux! ne tient-il qu’à cela?
L’argent vient-il comme il s’en va?
Je n’y touchais jamais. – Dites-moi donc, de grâce
Reprit l’autre, pourquoi vous vous affligez tant,
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent,
Mettez une pierre à la place,
Elle vous vaudra tout autant.»
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)