Lorsque la saison de semer le lin fut venue, l’Hirondelle voulut persuader aux autres Oiseaux de faire tous leurs efforts pour s’opposer à cette semaille, qui devait leur être si funeste. Les autres Oiseaux se moquèrent de ses conseils, lui disant qu’elle s’alarmait mal à propos. Quand le lin fut prêt à sortir de terre, elle leur conseilla de l’arracher ; ils n’en voulurent rien faire, et ne s’inquiétèrent nullement de ses avis. Lorsque l’Hirondelle vit que le lin commençait à mûrir, elle les exhorta à piller les blés ; mais ils ne s’en mirent pas en peine. L’Hirondelle voyant que ses remontrances étaient inutiles, se sépara des autres Oiseaux, et rechercha le commerce des hommes avec qui elle fit amitié.
Depuis ce temps-là elle habite dans les maisons, elle y fait son nid, on l’y laisse vivre en repos, et l’on se sert du lin pour faire des filets, et pour tendre des pièges aux autres Oiseaux.
Autre version
” L’Hirondelle et les Oiseaux “ – Comme le gui venait de pousser, l’hirondelle, sentant le danger qui menaçait les oiseaux, les assembla tous et leur conseilla avant tout de couper le gui aux chéries qui le portaient ; mais si cela leur était impossible, de se réfugier chez les hommes et de les supplier de ne pas recourir à l’effet de la glu pour les attraper. Les oiseaux se moquèrent d’elle, la traitant de radoteuse. Alors elle se rendit chez les hommes et se présenta en suppliante. Ceux-ci lui firent accueil à cause de son intelligence et lui donnèrent place dans leurs demeures. Il arriva ainsi que les autres oiseaux furent pris et mangés par les hommes, et que seule, l’hirondelle, leur protégée, nicha même sans crainte dans leurs maisons.
Cette fable montre que, quand on prévoit l’avenir, on échappe naturellement aux dangers.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Croire bon conseil!
Plusieurs en leur faict n’ont advis,
Et ne veullent ouyr ne croire
D’aultruy le conseil et devis
Par faulte de sens et mémoire.
De L’Arondelle et aultres Oyseaulz
Ung laboureur son lin semoit,
Parquoy l’Arondelle blasmoit
Les oyseaulx qui en leur présence
Souffroient semer telle semence,
Leur disant : « La graine mangeons
Et du laboureur nous vengeons ;
Car vous devez tous bien cognoistre
Que, quand ce lin viendra à croistre,
Il en fera laqs et fillez
Dont serons prias ei exillez. »
Les aultres oyseaulx s’en moquerent,
Sote prophete l’appelerent.
Quand l’Arondelle veid croissant
Ce lin fleury et verdissant,
A ces oyseaulx dict de rechef :
« Il vous viendra quelque meschef,
Prins serez et souffrirez pis
Sy vous n’arrachez ces espicz, »
Les aultres se mocquerent d’elle.
Depuis la petite Arondelle,
Quand vint à l’arriere saison,
Alla loger en la maison
Du laboureur; après advint
Que, quand ce lin bien meur devint,
On en feit fillez, dont prins furent
Ces aultres oyseaulx, qui moururent
Par faulte de ne croire en rien
Celle qui les conseilloit bien.
- Gilles Corrozet (1510 – 1568)
L’Hirondelle et les petits Oiseaux
Une Hirondelle en ses voyages
Avait beaucoup appris.
Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.
Celle-ci prévoyait jusqu’aux moindres orages,
Et devant qu’ils fussent éclos,
Les annonçait aux Matelots.
Il arriva qu’au temps que le chanvre se sème,
Elle vit un manant en couvrir maints sillons.
“Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons :
Je vous plains ; car pour moi, dans ce péril extrême,
Je saurai m’éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?
Un jour viendra, qui n’est pas loin,
Que ce qu’elle répand sera votre ruine.
De là naîtront engins à vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper,
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison
Votre mort ou votre prison :
Gare la cage ou le chaudron !
C’est pourquoi, leur dit l’Hirondelle,
Mangez ce grain; et croyez-moi. ”
Les Oiseaux se moquèrent d’elle :
Ils trouvaient aux champs trop de quoi.
Quand la chènevière* fut verte,
L’Hirondelle leur dit : “Arrachez brin à brin
Ce qu’a produit ce maudit grain,
Ou soyez sûrs de votre perte.
– Prophète de malheur, babillarde, dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes !
Il nous faudrait mille personnes
Pour éplucher tout ce canton. ”
La chanvre étant tout à fait crue,
L’Hirondelle ajouta : “Ceci ne va pas bien;
Mauvaise graine est tôt venue.
Mais puisque jusqu’ici l’on ne m’a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu’à leurs blés
Les gens n’étant plus occupés
Feront aux oisillons la guerre ;
Quand reginglettes* et réseaux
Attraperont petits Oiseaux,
Ne volez plus de place en place,
Demeurez au logis, ou changez de climat :
Imitez le Canard, la Grue, et la Bécasse.
Mais vous n’êtes pas en état
De passer, comme nous, les déserts et les ondes,
Ni d’aller chercher d’autres mondes ;
C’est pourquoi vous n’avez qu’un parti qui soit sûr :
C’est de vous renfermer aux trous de quelque mur. ”
Les Oisillons, las de l’entendre,
Se mirent à jaser aussi confusément
Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre
Ouvrait la bouche seulement.
Il en prit aux uns comme aux autres :
Maint oisillon se vit esclave retenu.
Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les nôtres,
Et ne croyons le mal que quand il est venu.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)