Eustache DESCHAMPS
En une grant fourest et lée
Nagaires que je cheminoie,
Où j’ay mainte beste trouvée ;
Mais en un grant parc regardoye,
Ours, lyons et liepars veoye,
Loups et renars qui vont disant
Au poure bestail qui s’effroye :
Sà, de l’argent; çà, de l’argent.
La brebis s’est agenoillée,
Qui a respondu comme coye :
J’ay esté quatre fois plumée
Cest an-ci ; point n’ay de monnoye.
Le buef et la vaiche se ploye.
Là se complaingnoit la jument.
Mais on leur respont toutevoye :
Sà, de l’argent; çà, de l’argent.
Où fut tel paroule trouvée
De bestes trop me merveilloie.
Nous fera moult petit de joye;
La moisson où je m’attendoye
Se destruit par ne sçay quel gent ;
Merci, pour Dieu. —Va ta voye;
Sà, de l’argent; sà, de l’argent.
La truie, qui fut désespérée,
Dist : Il fault que truande soye
Et mes cochons ; je n’ay derrée
Pour faire argent. — Ven de ta soye,
Dist li loups; car où que je soye
Le bestail fault estre indigent ;
Jamais pitié de toy n’aroye:
Sà, de l’argent; sà, de l’argent.
Quant celle raison fut finée,
Dont forment esbahis estoye,
Vint à moi une blanche fée,
Qui au droit chemin me ravoye
En disant : Se Dieux me doint joye,
Sers bestes vont à court souvent ;
Sont ce mot retenu sanz joye :
Sà, de l’argent; sà, de l’argent.
Envoi
Prince, moult est auctorisée
Et court partout communément
Ceste paroule acoustumée :
Sà, de l’argent; sà, de l’argent.
“Des exactions des grands Seigneurs”