Camille Viala
Dans une amitié sans seconde,
Deux ours vivaient heureux d’être oubliés du monde ;
Causer des temps passés était leur seul plaisir,
Bien n’est plus doux parfois que de se souvenir !
Pouvaient-ils faire mieux dans leur simple ermitage ?
Cependant d’un ancien volcan
Ils habitaient le voisinage.
Un jour, effroyable océan,
Le volcan gronde et roule au loin sa lave ardente ;
Hommes et bêtes, tous fuyaient dans l’épouvante,
Devant ces tourbillons de feux
Allant en rugissant ensanglanter les cieux,
Et puis sur la terre alarmée
Retombant en vague enflammée.
— Pourtant, dit l’un des ours, jadis on m’a conté
Que parmi les humains, bien autrement terrible,
Se soulève parfois un volcan redouté.
A moi-même le fait paraît inadmissible,
Qui dit humain dit généreux,
Comment serait-il donc possible
Que ce mot quelquefois fût un mensonge affreux ?
Mais pour l’homme, dit-on, il n’est rien d’impossible.
Comme il parlait, un homme arrivait à nos ours,
De suite on l’interroge ; il répond sans détours :
— Quelle question m’est soumise !
Hélas ! c’est r’ouvrir mes douleurs…
Vous serez frappés de surprise
Devant d’odieuses fureurs ;
Ce spectacle imposant me fascine et m’attire,
C’est une belle horreur, qui séduit, qu’on admire,
Mais cet autre volcan plus terrible cent fois…
Devant ses mille excès tous les humains frissonnent
Ecoutez leur dit-il, en abaissant la voix :
Il dit : — et plus il parle, plus nos ours s’étonnent,
Enfin l’un d’eux épouvanté
S’écria tout à coup ; — cela n’est pas croyable,
Non ! non ! c’est trop épouvantable,
— Vous avez fort raison, mais c’est la vérité,
— Alors dirent les ours, « combien heureux nous sommes
De n’être point parmi les hommes ! »
Ce que l’être humain dit aux Ours
Partout, partout désolation !
Le club, volcan à la lave ardente,
Gronde, vomit la destruction,
Et tarit toute eau vivifiante,
Toujours, toujours en éruption,
Sa lave est avec l’ordre infusible ;
Malheur à toi, faible nation,
Qu’il caresse de sa flamme horrible !
Les clubs, délire de la raison,
Délice de la démagogie,
Fanatisme de l’aversion,
Souillent tout de leur sanglante orgie !
Aspirant à la destruction,
On les voit entre eux faire alliance ;
Intraitable coalition
D’insurrections en permanence !
Non ! avec eux, ni trêve, ni paix !…
Le droit n’est plus… mais la tyrannie}
L’oppression ! voilà leurs bienfaits !
Frapper… détruire… voilà leur vie !
Nul tyran ne fût plus redouté ;
Sur le peuple usurper la puissance…
Puis l’écraser… c’est sa liberté !…
C’est dans le sang noyer l’innocence !!!
Il livre un assaut perpétuel
A tout pouvoir ; il le sape, assiège ;
Et jusqu’à sa chute, le cruel,
Ivre d’excès en pousse le siège.
Celui-même à ses genoux rampants
Dont il sort, ou qu’il crée, il le broie :
Et sur ses débris, son front sanglant
Respire une épouvantable joie !
Sous ce tyran, le crime odieux
Lève la tête… et la vertu se cache ;
Libre est le pervers… fier l’envieux ;
Le vice honore… et la vertu tache !
La mer la plus folle en sa fureur,
Ne laisse quand sa colère expire.
A la frêle barque du pêcheur,
Que grève et flots unis pour empire :
Le club emporté dans ses fureurs,
N’a que des mers de sang pour limite,
Mers que jusque dans leurs profondeurs,
Son souffle infernal sans cesse agile.
Oui ! l’océan le plus irrité
Caresse de sa vague amollie
Un rivage riche, enchanté,
Où rayonnent mille essaims de vie…
Mais le club cet océan de feu
Que sillonne sans cesse la foudre,
N’aspire au plus magnifique lieu,
Qu’un désert… brûlant amas de poudre,
Oui ! des clubs, de ces enfers nouveaux,
Los superbes sans miséricorde,
Embraseraient, esprits infernaux,
Le monde du feu de leur discorde…
Trois fois malheur au peuple insensé
Que le monstre entraîne à son orgie ;
Vite il est dans son sang terrassé,
Sous ce vampire aspirant sa vie !
Camille Viala