UN Cerf bûvoit sur le bord d’un Ruisseau; Se voyant sà figure dans une eau fort claire, il se mit à dire en lui-même, oh! que si ces vilaines jambes de fuseau étoient de la beauté de mon Bois! il me semble qu’il n’y a point d’ennemis que je ne défiasse. A peine eut-il fait ces belles réflexions, qu’il vit une meute de chiens venir à lui à toute jambe. Il gagne à travers champs, laisse les chiens bien loin derrière lui, & se sauve dans une Forêt, Mais comme il vouloir passer au milieu d’un hallier, son bois s’y embarrassa. de manière qu’il y demeura pris jusqu’à ce que les chiens vinrent & s’en saisirent. Les dernières paroles qu’il dit, furent celles-ci; Quelle misérable folie que la mienne, de prendre mes Amis pour mes Ennemis, & mes Ennemis pour mes Amis ! Je contois sur mon Bois, qui m’a perdu; & je trouvois à redire à mes jambes, qui sans lui m’auraient sauvé !
Autre version
“Le cerf à la source et le Lion” – Un cerf pressé par la soif arriva près d’une source. Après avoir bu, il aperçut son ombre dans l’eau. Il se sentit fier de ses cornes, en voyant leur grandeur et leur diversité; mais il était mécontent de ses jambes, parce qu’elles étaient grêles et faibles. Il était encore plongé dans ces pensées, quand un lion apparut qui le poursuivit. Il prit la fuite, et le devança d’une longue distance ; car la force des cerfs est dans leurs jambes, celle des lions dans leur coeur. Tant que la plaine fut nue, il maintint l’avance qui le sauvait; mais étant parvenu à un endroit boisé, il arriva que ses cornes se prirent aux branches et que, ne pouvant plus courir, il fut pris par le lion. Sur le point de mourir, il se dit en lui-même : « Malheureux que je suis ! Ce sont mes pieds, qui devaient me trahir, qui me sauvaient ; et ce sont mes cornes, en qui j’avais toute confiance, qui me perdent. »
C’est ainsi que souvent dans le danger les amis que nous suspectons nous sauvent, et ceux sur qui nous comptons fermement nous trahissent.
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Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Un Cerf
Un jour un cerf eut soif, et vint à une fontaine pour se désaltérer. Voyant dans l’eau son image, il s’attrista de la finesse de ses jambes et s’enorgueillit de la magnificence et de l’élévation de ses cornes. Tout à coup des chasseurs s’élancent à sa poursuite ; il s’enfuit devant eux, et tant qu’il est en plaine, ils ne peuvent l’atteindre. Mais dès qu’il entra dans la montagne et passa au milieu des arbres, les chasseurs l’atteignirent et le tuèrent.
Au moment de mourir, il dit: « Malheureux que je suis, ce que j’ai méprisé pouvait me sauver, ce sur quoi je comptais m’a perdu. ».
- Loqman – XIe. siècle avant JC
Cervus ad Fontem
Cervus nemorosis excitatus latibulis,
ut uenatorum effugeret instantem necem,
caeco timore proximam uillam petit,
ut opportuno se bouili condidit.
hic bos latenti ‘Quidnam uoluisti tibi,
infelix, ultro qui ad necem cucurreris?
at ille supplex ‘Vos modo inquit ‘parcite:
occasione rursus erumpam data’.
spatium diei noctis excipiunt uices;
frondem bubulcus adfert, nil adeo uidet:
eunt subinde et redeunt omnes rustici,
nemo animaduertit: transit etiam uilicus,
nec ille quicquam sentit. tum gaudens ferus
bubus quietis agere coepit gratias,
hospitium aduerso quod praestiterint tempore.
respondit unus ‘Saluum te cupimus quidem,
sed, ille qui oculos centum habet si uenerit,
magno in periclo uita uertetur tua’.
haec inter ipse dominus a cena redit;
et, quia corruptos uiderat nuper boues,
accedit ad praesaepe: ‘Cur frondis parum est?
stramenta desunt. tollere haec aranea
quantum est laboris?’ dum scrutatur singula,
cerui quoque alta conspicatur cornua;
quem conuocata iubet occidi familia,
praedamque tollit. Haec significat fabula
dominum uidere plurimum in rebus suis.
- Phedre – 14 av. J.-C. et mort vers 50 ap. J.-C.
Le Cerf près d’une fontaine
Cette fable nous fait voir que les choses méprisées valent souvent mieux que celles que l’on vante.
Un Cerf buvait à une fontaine : il s’arrête, et voit son image dans le miroir des eaux. Là, tandis qu’il louait la beauté de son bois et méprisait la délicatesse de ses jambes déliées, épouvanté tout à coup par les cris des chasseurs, il fuit à travers les champs, et par sa course rapide met les chiens en défaut. Il se jette à travers la foret : mais, arrêté par ses cornes qui s’embarrassent dans le taillis, il est déchiré par la dent cruelle des chiens. On dit qu’en mourant il prononça ces mots : « Ho! malheureux que je suis! je comprends maintenant l’utilité de ce que je méprisais, et combien ce que j’admirais m’a été funeste. »
- Fable de Phedre traduite par Ernest Panckoucke ‘ 1808 – 1886) édition 1839
Le Cerf se voyant dans l’eau
Dans le cristal d’une fontaine
Un cerf se mirant autrefois
Louait la beauté de son bois,
Et ne pouvait qu’avecque peine,
Souffrir ses jambes de fuseaux,
Dont il voyait l’objet se perdre dans les eaux.
«Quelle proportion de mes pieds à ma tête?
Disait-il en voyant leur ombre avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte;
Mes pieds ne me font point d’honneur.»
Tout en parlant de la sorte,
Un limier le fait partir.
Il tâche à se garantir;
Dans les forêts il s’emporte.
Son bois, dommageable ornement,
L’arrêtant à chaque moment,
Nuit à l’office que lui rendent
Ses pieds, de qui ses jours dépendent.
Il se dédit alors, et maudit les présents
Que le Ciel lui fait tous les ans.
Nous faisons cas du beau, nous méprisons l’utile;
Et le beau souvent nous détruit
Ce cerf blâme ses pieds, qui le rendent agile;
Il estime un bois qui lui nuit.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)