“Du Cerf et de la Brebis” – Un Cerf accusa une Brebis devant un Loup, lui redemandant un muid de froment. Elle ne lui devait rien. Cependant le Loup la condamna à payer ce que le Cerf lui demandait ; elle promit de satisfaire et d’exécuter la sentence au jour marqué. Quand le temps du paiement fut échu, le Cerf en avertit la Brebis. Elle protesta contre la sentence, et dit qu’elle ne payerait pas, ajoutant que si elle avait promis quelque chose, ce n’était que par la seule crainte du Loup son ennemi déclaré, et qu’elle n’était nullement obligée de payer ce qu’elle ne devait pas, puisqu’elle ne l’avait promis que par force.
- Esope – (Ve. ou VIe. siècle ?)
La Brebis et le Cerf.
Puisque vous venez à l’ouvrage
Lorsque les bleds font moissonnés ,
Pauvres fabulistes , glanez ,
Glanez , c’est-là votre partage.
Encor, gardez-vous bien de crier, quel dommage !
Le lecteur répondroit , en vous riant au nez :
” La Fontaine a tout pris ; il eut droit de tout ” prendre,
” Et fut sage de se hâter;
” Car s’il eût voulu vous attendre,
” Vous auriez bien pu tout gâter.
” Les épis qu’oublia sa tranchante faucille
” Sont à vous ,le public là-dessus vous dit,
Puisqu’on nous le permet, pillons.
De Phèdre en fuivant les fillons
J’y trouve une fable concise
Que Messire Jean n’a pas prise.
Muse, hâtons-nous, prenons-la.
Vatelet, Nivernois pourraient passer par-là,
En vers nobles et doux ils l’auraient bientôt mise ;
Y toucher après eux feroit folle entreprise.
En voyant agir des fourmis,
Un beau jour certaine brebis
Forma le projet dans sa tête
D’avoir un magasin. Bientôt elle est en quête;
Elle trotte, va, vient, ramasse des épis,
Les entasse dans son logis,
Puis les bat, les vanne, et les crible;
Crible, van, et fléaux sont ses pieds et ses dents ;
Une brebis n’a pas de meilleurs instrumens.
Enfin en peu de jours, dans son manoir paisible,
La demoiselle voit un fort joli monteau
De froment pur, bien net et beau.
” Voilà dit-elle, ma pârure
” Pour le tems ou l’hiver
” De ses frimats aura couvert
” Les champs, les prés, les bois,et brûlé la verdure.
Vers la fin de l’automne,à sa porte un vieux cerf
Vient frapper et lui dit : ouvrez, je vous conjure.
La brebis de répondre, et pour quoi faire ouvrir ?—
” Ouvrez, voisine, ouvrez, de faim je vais mourir ”
” Si l’on ne me donne assistance.
” Prêtez-moi de vos bleds.—Je n’ai que ma pitance,
” Et l’hiver n’est pas loin. — Au plus tard dans un mois
” Je vous rendrai le double. Et du gland de mes bois
” Par dessus le marché. — Mais si par aventure
” Vous ne me rendiez rien.— Ah, c’est me faire injure.
” Mais puisque vous doutez, j’ai pour ma caution
” Le loup, seigneur de ce canton.
” Par le trou de votre sessure
” Regardez mon billet avec sa signature.—
” Bel emprunteur , qui pour garant
” M’offrez un voleur, un brigand,
” De moi rien n’aurez, je vous jure;
” Vous avez le pied leste et lui la dent trop dure.
” Je ne prête point à des gens
” A qui l’on n’oseroit envoyer les sergens “.
Abbé le Monnier 1731 – 1796