“Du Dauphin qui porte un Singe” – Un Dauphin côtoyait de fort près en nageant le rivage de la mer. ” Bon, dit un Singe qui l’aperçut, voici un moyen pour voir la pleine mer tout à mon aise. Je ne l’ai jamais vue, et ainsi il faut que je me contente “. Cela dit, il s’approche du rivage, ensuite il s’élance, et retombe sur le dos du poisson. Celui-ci qui aime l’Homme, crut qu’il en portait un, et mena le Singe assez loin. Là-dessus, ce dernier, charmé de voguer sur l’Océan, jette un cri de joie. À ce cri, l’autre lève la tête, envisage le Singe, et le reconnaît. Le Dauphin fit sauter sa charge en l’air d’un coup de sa queue, et se replonge aussitôt au fond de la mer.
Autre version
” Le Singe et le Dauphin “ – C’est la coutume, quand on voyage par mer, d’emmener avec soi de petits chiens de Malte et des singes pour se distraire pendant la traversée. Or donc un homme qui naviguait avait avec lui un singe. Quand on arriva à Sunion, promontoire de l’Attique, une tempête violente se déchaîna. Le navire chavira et tout le monde se sauva à la nage, le singe comme les autres. Un dauphin l’aperçut, et, le prenant pour un homme, il se glissa sous lui, le soutint et le transporta vers la terre ferme. Comme il arrivait au Pirée, entrepôt maritime d’Athènes, il demanda au singe s’il était Athénien. Le singe ayant répondu que oui, et qu’il avait même à Athènes des parents illustres, il lui demanda s’il connaissait aussi le Pirée. Le singe, croyant qu’il voulait parler d’un homme, dit que oui, et que c’était même un de ses intimes amis. Indigné d’un tel mensonge, le dauphin le plongea dans l’eau et le noya.
Cette fable vise les hommes qui, ne connaissant pas la vérité, pensent en faire accroire aux autres.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Singe et le Dauphin
C’était chez les grecs un usage
Que sur la mer tous voyageurs
Menaient avec eux en voyage
Singes et chiens de bateleurs.
Un navire en cet équipage
Non loin d’Athènes fit naufrage.
Sans les dauphins tout eût péri.
Cet animal est fort ami
De notre espèce en cette Histoire
Pline le dit; il le faut croire.
Il sauva donc tout ce qu’il put.
Même un singe en cette occurrence,
Profitant de la ressemblance,
Lui pensa devoir son salut
Un dauphin le prit pour un homme,
Et sur son dos le fit asseoir
Si gravement qu’on eût cru voir
Ce chanteur que tant on renomme.
Le dauphin l’allait mettre à bord,
Quand, par hasard, il lui demande
« Êtes-vous d’Athènes la grande?
– Oui, dit l’autre, on m’y connaît fort
S’il vous y survient quelque affaire,
Employez-moi; car mes parents
Y tiennent tous les premiers rangs
Un mien cousin est juge maire.»
Le dauphin dit «Bien grand merci;
Et le Pirée a part aussi
A l’honneur de votre présence?
Vous le voyez souvent, je pense?
– Tous les jours il est mon ami
C’est une vieille connaissance .»
Notre magot prit, pour ce coup,
Le nom d’un port pour un nom d’homme.
De telles gens il est beaucoup
Qui prendraient Vaugirard pour Rome,
Et qui, caquetant au plus dru,
Parlent de tout et n’ont rien vu.(*)
Le dauphin rit, tourne la tête,
Et le magot considéré,
Il s’aperçoit qu’il n’a tiré
Du fond des eaux rien qu’une bête.
Il l’y replonge, et va trouver
Quelque homme afin de le sauver.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)
(*) C’est une allusion au “Pédant joué” Cyrano de Bergerac (I, IV).
Char lot. J’ai trop voyagé, j’en suis las. — PASQUIER. Qui ? vous ? Je vais gager que vous n’avez jamais vu la mer que dans une huître à l’écaille. — Et toi, Pasquier, on as-iu vu davantage? — Oui da : j’ai vu les Bons Hommes, Chaillot, Saint-Cloud, Vaugirard. — Et qu’y as-tu remarqné de beau, Pasquier ?— A la vérité, je ne les vis pas trop bien, parce que les murailles m’empêchoient.
- Cyrano de Bergerac – (1619 – 1655)