“Du Lion amoureux” – Un Lion devint amoureux de la Fille d’un Chasseur, et ce fut si éperdument, qu’il courut chez le Père, et la lui demanda en mariage. Celui-ci, qui ne pouvait s’accommoder d’un gendre si terrible, la lui eût refusée net, s’il eût osé ; mais comme il le craignait, il eut recours à la ruse. ” Comptez sur ma Fille, dit-il au Lion, je vous l’accorde ; mais avant que d’en approcher, songez que vous ne sauriez lui marquer votre tendresse, qu’elle ne soit en danger d’être blessée, ou par vos dents, ou par vos ongles. Ainsi, Seigneur Lion, trouvez bon, s’il vous plaît, qu’après vous avoir limé les unes, on vous rogne encore les autres. Vos caresses en seront moins dangereuses, et par conséquent plus agréables. ” Le Lion, que l’amour aveuglait, consentit à tout, et sans penser qu’il allait se mettre à la merci de son ennemi, se laissa désarmer. Dès qu’il le fut, les Chiens, le Chasseur et la Fille même se jetèrent sur lui, et le mirent en pièces.
Autre version
” Le Lion amoureux et le Laboureur “ – Un lion s’étant épris de la fille d’un laboureur, la demanda en mariage ; mais lui, ne pouvant ni se résoudre à donner sa fille à une bête féroce, ni la lui refuser à cause de la crainte qu’il en avait, imagina l’expédient que voici. Comme le lion ne cessait de le presser, il lui dit qu’il le jugeait digne d’être l’époux de sa fille, mais qu’il ne pouvait la lui donner qu’à une condition, c’est qu’il s’arracherait les dents et se rognerait les griffes; car c’était cela qui faisait peur à la jeune fille. Il se résigna facilement, parce qu’il aimait, à ce double sacrifice. Dès lors le laboureur n’eut plus que mépris pour lui, et, lorsqu’il se présenta, il le mit à la porte à coups de bâton.
Cette fable montre que ceux qui se fient aisément aux autres, une fois qu’ils se sont dépouillés de leurs propres avantages, sont facilement vaincus par ceux qui les redoutaient auparavant.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Lion amoureux
Sévigné, de qui les attraits
Servent aux Grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près,
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d’une Fable,
Et voir, sans vous épouvanter,
Un Lion qu’Amour sut dompter ?
Amour est un étrange maître.
Heureux qui peut ne le connaître
Que par récit, lui ni ses coups !
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,
La Fable au moins se peut souffrir :
Celle-ci prend bien l’assurance
De venir à vos pieds s’offrir,
Par zèle et par reconnaissance.
Du temps que les bêtes parlaient,
Les Lions entre autres voulaient
Etre admis dans notre alliance.
Pourquoi non ? puisque leur engeance
Valait la nôtre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,
Et belle hure outre cela.
Voici comment il en alla :
Un Lion de haut parentage,
En passant par un certain pré,
Rencontra Bergère à son gré :
Il la demande en mariage.
Le père aurait fort souhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui semblait bien dur ;
La refuser n’était pas sûr ;
Même un refus eût fait possible
Qu’on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandestin.
Car outre qu’en toute manière
La belle était pour les gens fiers,
Fille se coiffe volontiers
D’amoureux à longue crinière.
Le Père donc ouvertement
N’osant renvoyer notre amant,
Lui dit : “Ma fille est délicate ;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu’à chaque patte
On vous les rogne, et pour les dents,
Qu’on vous les lime en même temps.
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus délicieux ;
Car ma fille y répondra mieux,
Etant sans ces inquiétudes.
Le Lion consent à cela,
Tant son âme était aveuglée !
Sans dents ni griffes le voilà,
Comme place démantelée.
On lâcha sur lui quelques chiens :
Il fit fort peu de résistance.
Amour, Amour, quand tu nous tiens
On peut bien dire : “Adieu prudence.”
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)