“Du Loup et du Chien” – Un Loup rencontra par hasard un Chien dans un bois, au commencement du jour. Il se mit à le caresser, et à lui demander de ses nouvelles il le questionna sur son embonpoint. Le Chien lui répondit que les bontés de son Maître, et les soins qu’il prenait de lui, l’avaient mis dans le bon état où il le voyait : ” Car il me nourrit, ajouta-t-il, des mets de sa table, et des viandes dont il mange lui-même ; outre cela, je dors dans un lieu couvert, et tous ceux de la maison me font tout le bien qu’ils peuvent. ” Ce discours inspira envie au Loup de s’attacher au Maître du Chien. ” Que je serais heureux, lui dit-il, de servir un Maître si commode ! Si cela m’arrivait, je croirais que ma condition est préférable à celle de toutes les autres bêtes. ” Le Chien s’offrit de le conduire à son Maître, et de le solliciter en sa faveur, pourvu qu’il se relâchât un peu de sa cruauté naturelle. Le Loup y consentit. Leurs conventions ainsi faites, ils se mirent en chemin : le jour était déjà grand. Le Loup voyant que le col du Chien était tout pelé lui en demanda la cause. ” Cela n’est rien, répliqua le Chien ; pendant la nuit j’ai la liberté tout entière, et l’on me lâche, pour aboyer aux voleurs ; mais pendant le jour on me tient à l’attache, de peur que je ne morde ceux qui entrent dans la maison de mon Maître. ” Ce discours ralentit l’ardeur du Loup ; il ne témoigna plus le même empressement pour aller trouver le Maître du Chien.
” Adieu, lui dit-il, je ne veux pas acheter à si haut prix l’amitié de ton Maître ; j ‘aime mieux jouir de ma liberté, que de faire bonne chère dans l’esclavage. “
Autre version
” Le Loup et le Chien “ – Un loup voyant un très gros chien attaché par un collier lui demanda : « Qui t’a lié et nourri de la sorte ? – Un chasseur, » répondit le chien. « Ah ! Dieu garde de cela le loup qui m’est cher ! Autant la faim qu’un collier pesant. »
Cette fable montre que dans le malheur on n’a même pas les plaisirs du ventre.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
La compengnie dcu Chien au Leu
Uns Leus et uns Chiens s’encuntrèrent,
Parmi un Bos ù il alèrent.
Li Leus a le Kien esgardei,
E puis si a à lui pallei ;
Frère, fait-il, mult estes biaus,
E mult est luisanz vostre piaus.
Li Chienz respunt : c’est véritez,
Je menju bien, s’en ai assez ;
E souef giz quant pluet le jor
Par devant les piez mun Segnor ,
Puis chascun jur runger les os,
Dunt je me fas è cras è gros.
Se vus volez od mei venir ,
E vus li voliez obéir
Si cum jeo faz , assez arez
Plus de viande ke ne vodrez ;
Si ferai voir, li I.eus respunt ;
Dunt s’acumpengnent, si s’en vunt.
Ains k’à ville fussent venu
Garda li Loz , si a véu
Cum Li Chiens porte sun
E la chaiene vist trainer.
Frère, fet-il, merveille voi
Entur tun col a ne sai coi ?
Li Chiens respunt, c’est me chaiene
Dunt l’en me loie en la semeine,
Kar trop suventes fois mordreie
E à plusurs gens meffereie
Ke mes Sires velt garendir,
Ce me feit-il loié tenir.
La nuit voiz entur la mésun
Que ni aproisment li Lairun.
Coi , fait li Leus , est-il einsi
Q’aler ne pués fors, par inci
Tu remendraz , geo m’en irai,
Jà chaiene ne chargerai ;
Miez voil estre Leuz à délivre ,
Qu’en chaiene ricement vivre.
Qant encor en puis estre à quois
Vas à la ville et jeo où bois.
Par la kaiene est départie
Lur amurs è lur cumpaignie.
Moralité :
Par cest essample vus promet
Qe cil est mult folx qui se met
En sougit o en serviture ,
Car mauvèse est celé constume;
Qui a sun talent à délivre
Ne laisse on pais nul hume vivre.
- Marie de France – (1160 – 1210)
Le Loup et le Chien
Que tu me parais beau, dit le loup au limier,
Net, poli, gras, heureux et sans inquiétude !
Mais qui te pèle ainsi le col ? Mon collier.
Ton collier ? fi des biens avec la servitude.
Dépendre dans les fers du caprice d’un maître,
Dure condition, disait le loup au chien ;
Il lui fit bien connaître
Que sans la liberté, tout le reste n’est rien.
- Isaac de Benserade – (1612 – 1691)
Le Loup et le Chien
Un Loup n’avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l’aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu’il admire.
“Il ne tiendra qu’à vous beau sire,
D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres*, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d’assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l’épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. ”
Le Loup reprit : “Que me faudra-t-il faire ?
– Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. ”
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
“Qu’est-ce là ? lui dit-il. – Rien. – Quoi ? rien ? – Peu de chose.
– Mais encor ? – Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
– Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? – Pas toujours ; mais qu’importe ?
– Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. ”
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)
Le Loup et le Chien
On sait comment le Loup de La Fontaine,
Craignant surtout d’être mis à la chaîne,
Aux reliefs qui tentaient ses appétits gloutons
Préféra les dangers d’une vie incertaine
Et conserva ses instincts vagabonds.
Ce Loup, dans la vigueur de l’âge,
Devint l’effroi du voisinage :
Il avait pris bien des moutons,
Croqué bien des volailles,
Et, sans craindre les représailles,
Étranglé maint basset;
Enfin c’était un fort mauvais sujet.
Un soir qu’auprès d’un parc qu’il s’efforçait de rompre,
Il flairait un friand butin,
11 se vit tout à coup hélé par un mâtin
Que le bandit essaya de corrompre.
Comme étrangleur, il savait son métier;
Mais il voyait briller les pointes d’un collier,
Et ce n’était pas son affaire.
Recourant donc au ton parlementaire : .
« Voisin, si vous vouliez, dit-il,
Être un peu moins hargneux, plus poli, plus civil,
Nous pourrions fort bien nous entendre;
Vous aimez, j’en suis sûr, une chair fraîche et tendre ;
Nous en aurions toujours : au choix, boeuf, veau, mouton,
Canard, poulet, dindon,
Et du festin pour changer l’ordonnance,
On pourrait, au besoin, dépecer un ânon ;
» On pourrait même en conscience,
Et sans trop de danger,
Selon les cas et l’occurrence,
Déjeûner du berger.
Moi, rien que d’y penser, l’eau me vient à la bouche.
Si pourtant vous vouliez être un peu moins farouche,
Nous serions, dès ce jour, au comble du bonheur.
— Bête odieuse et scélérate,
Me prends-tu, comme toi, pour un être sans coeur?
Lui dit le Chien; pour un traître, un pirate
Sans foi ni loi, sans honte, sans honneur?
Me préserve le Ciel d’avoir jamais envie
De partager ta détestable vie !
Toujours en l’air, pas de tranquillité;
Dès qu’on te voit, on te signale;
On crie : Au loup ! de tout côté.
On te poursuit, on te régale
De coups de pierre ou d’une balle;
Les chiens, des dents et de la voix,
Te chassent jusqu’au fond des bois,
Où l’on traque ton existence.
Rien de sûr pour ta subsistance ; .
Pas d’abri pour te reposer ;
Même en été, maigre pitance,
Et quand l’hiver vient tout glacer,
Pour régal, le chiffon qui sert au récurage,
Le désespoir, la faim, la rage.
Est-il au monde un plus horrible sort?
Et cependant, robuste et fort,
Plein de santé, doué d’une mâchoire
Dont, à bon droit, tu peux te faire gloire,
Planté sur un jarret puissant,
Que tu pourrais vivre honorablement!
Que ne sers-tu quelque bon maître
Pour assurer pour le moins tes repas !
— Moi ! dit le; Loup, moij me soumettre !
Un maître ! libre à vous, vils chiens, d’en reconnaître,
D’être valets, de vivre d’un salaire;
Mais quant à moi, je n’en veux pas.
J’entends ine conduire à ma guise,
Me reposer quand je suis las,
Vivre au hasard et de surprise,
Garder enfin toute ma liberté,
Et faire en tout ma volonté. »
Le Chien, bondissant de colère, .
Lui dit : « Retire-toi, détestable animal;
Je te prédis que tu finiras mal ;
Tu périras dans quelque horrible affaire. »
Deux jours après, et juste au même lieu,
Le Loup tombait, atteint d’un coup de feu.
« C’est ainsi que Ton meurt quand on n’est pas honnête,
Lui dit le Chien; je te l’avais prédit;
Je n’ai jamais compris qu’un homme ou qu’une bête
Puisse se résoudre et s’entête
A faire de bon gré le métier de bandit. »
En chemin de fer, le 13 octobre 1863. Suite de la fable de La Fontaine
- Barthélemy de Beauregard – (1803 – 18??)
— Babrius, fab. 99,
— Phèdre, livre III, fab. 7, Canis et Lupus.
— Àvianus, fab. 37, Canis et Léo,
— Romulus, livre III, fab. 15, Canis et Lupus.
— Marie de France, fab. 34, la Compengnie dou Chien au Leu.
— Haudent, I, fab. 159, d’un Chien et dun Loup; fab. 2o5, d’un Chien et d’un Lyon.
— Corrozet, fab. 52, du Loup et du Chien.
— Le Noble, fable 2 , du Chien gras et du Chien maigre. L’esclavage de la cour.
— Mythologia aesopica Neveleti
— Jean de la Fontaine, Le Loup et le Chien.
— Cette fable a été reproduite dans le Recueil de poésies chrétiennes et diverses, tome III