Marie de France
Un loup, pendant son sommeil, fut piqué sous la queue par une guêpe, à l’endroit que vous devinez. Jugez quels hurlements il fit lorsque la douleur le réveilla. Cependant, à force de contorsions et de mouvements, il réussità faire sortir l’insecte; mais, quand il le vit, il fut tellement indigné qu’un si petit animal eût pu lui arracher de pareils cris qu’il l’accabla d’injures. La guêpe fut choquée à son tour de ce ton méprisant. Elle prétendit valoir mieux que lui. « Assemble ici demain toute la fa-mille, lui dit-elle; j’y assemblerai la mienne-nous combattrons, et la victoire décidera qui de nous est le plus méprisable. »
Le lendemain en effet, au point du jour, les deux troupes bien ordonnées se présentèrent au combat. Le loup, persuadé que ses ennemis ne pouvoient piquer qu’où il l’avoit été la veille, s’étoit bouché et tamponné, avec des feuilles, l’endroit foible, et tous ses camarades en avoient fait autant. Avec cette assurance il s’avance fièrement à leur tête ; mais la guêpe, s’élançant sur lui tout-à-coup, s’attache sous son ventre à un endroit plus sensible encore, qu’elle pique et mord cruellement. Il ne s’attendoit pas à cette attaque. La frayeur lui cause un accident qui jette au loin le tampon, mais non dans l’état où il avoit été-mis. Notre héros s’enfuit à toutes jambes; et les autres qui le voient désarmé, et qui craignent pour eux la même chose, suivent son exemple.
Il n’est point d’ennemis méprisables.
“Du Loup et de la Guêpe”