Du marchand qui allait voir son frère :
(Extrait) – Un roi libéral et magnifique, mais plus que ne le comportait le rapport de sa terre, avait choisi pour son bailli un homme sage et prudent, auquel il avait confié non-seulement la perception de ses revenus et l’administration de sa justice, mais encore le gouvernement de toute sa maison. Celui-ci avait un frère marchand, bourgeois de sa ville et fort à son aise. La renommée ayant appris au marchand la fortune du bailli, il se proposa de l’aller voir. L’autre le reçut en vrai frère, lui témoigna toute la tendresse possible, et parla même de lui au monarque, qui, par amitié pour son officier, voulut faire éprouver à l’étranger ses bienfaits. « S’il « veut comme vous se fixer chez moi, dit le « prince, associez-le à tous vos emplois, je vous « le permets. S’il préfère des maisons et des a terres, je lui en offre que j’aurai soin d’affranchir de toutes charges, redevances et droits « coutumiers; enfin, s’il est déterminé à retourner dans sa patrie, donnez-lui en mon nom de l’or, de l’argent, des étoffes et des chevaux. »
Le bailli étant venu faire part de ces propositions à son frère, le marchand, avant de se déterminer, voulut savoir quels étaient et les revenus et la dépense du roi. On lui dit que la recette égalait la dépense. « Mais puisqu’on temps a de paix il consomme tous ses revenus, ajouta le bourgeois, que fera-t-il donc s’il lui survient a une guerre?— Dans ce cas, il aurait recours aux impositions; nous contribuerions tous. — J’entends; mes voisins seraient taxés. A raison du voisinage, il faudrait bien que je le fusse aussi, et alors adieu pour toujours les exemptions et les franchises. Frère, remerciez-le de ses présents. Puisqu’on n’est pas en sûreté ici plus qu’ailleurs, autant vaut rester dans le nid où je suis né. »
Il prit congé de son frère et s’en retourna.
Notes :
Jusqu’à rétablissement de la bourgeoisie, il n’y avait eu dans le royaume que deux classes, les villains et les nobles. Alors il y en eut une troisième, celle des bourgeois; et l’on appela ainsi l’habitant d’un lieu ou le membre d’un corps privilégié.
Croira-t-on qu’un de ces privilèges qui irritaient les nobles, était ordinairement de permettre aux bourgeois de tester, à leurs veuves de convoler à de secondes noces, aux pères de faire entrer leurs fils dans l’état ecclésiastique ou de marier leurs filles sans acheter l’aveu de leur seigneur. (Recherches sur les bourgeoisies, par M. de Brequigni, page 8. )
Quelquefois la noblesse elle-même, pour jouir des droits de ces corporations si avantagées, venait s’y faire agréger; et l’on a des exemples de chevaliers qui se qualifiaient en même temps bourgeois d’une telle ville (Ibid., page 18.)
“Du marchand qui allait voir son frère”, Recueil de Barbazan, tome II, page 156.