Un fin renard et un bouc s’en allèrent
Boire en un puits auquel ils dévalèrent ;
Après avoir bien bu leur soûl tous deux,
De leur sortir furent assez douteux ;
Mais le renard, garni de sa cautelle,
Dit à ce bouc une parole telle :
« Prenons courage après la peur reçue ;
J’ai avisé le point de notre issue ;
Fais mon conseil, ne le mets en arrière
Si tu te veux sur tes pieds de derrière
Dresser debout et tes deux cornes joindre
Contre le mur, d’agilité non moindre
Qu’a un bon cerf, d’ici je sauterai,
Et, cela fait, dehors t’en jetterai. »
Le bouc le crut, le renard dehors saute,
Puis il reprit le bouc de sa grand’faute
En le moquant et lui niant secours,
Disant ainsi : « Si tu eusses recours
A la prudence, au savoir et usage,
Comme ta barbe en porte témoignage,
Penser devais, devant qu’entrer au puits,
Si tu pourrais sortir comme je suis
Car le prudent, le bien sage et bien fin,
De tous ses faits il regarde la fin,
Et quand il a en son esprit conçu
La fin du fait, il n’est jamais déçu,
Comme en tous arts dont la fin est pensée
Avant que soit quelque œuvre commencée. »
“Du renard et du bouc”