“Du Singe et du Chat” – Le Singe et le Chat méditaient au coin du feu comment ils s’y prendraient pour en tirer des marrons qui y rôtissaient. ” Frère, dit le premier à l’autre, ces marrons que tu vois, il nous les faut avoir à tel prix que ce puisse être ; et pour cela, comme je te crois la patte plus adroite que la mienne, tu n’as qu’à t’en servir, écarter tant soit peu cette cendre, et nous les amener ici. ” L’autre approuve l’expédient, range d’abord les charbons, puis la cendre, porte et reporte la patte au milieu du feu, en tire un, deux, trois ; et pendant qu’il se grille, le Singe les croque. Un Valet vient sur ces entrefaites troubler la fête, et les galants prennent aussitôt la fuite. Ainsi le Chat eut toute la peine, et l’autre tout le profit.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Singe et le Chat
Bertrand avec Raton, l’un singe et l’autre chat,
Commensaux d’un logis, avaient un commun maître.
D’animaux malfaisants c’était un très bon plat :
Ils n’y craignaient tous deux aucun, quel qu’il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,
L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage :
Bertrand dérobait tout : Raton, de son côté,
Etait moins attentif aux souris qu’au fromage.
Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.
Les escroquer était une très bonne affaire ;
Nos galands y voyaient double profit à faire :
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.
Bertrand dit à Raton : « Frère, il faut aujourd’hui
Que tu fasses un coup de maître,
Tire-moi ces marrons. Si Dieu m’avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes marrons verraient beau jeu. »
Aussitôt fait que dit: Raton, avec sa patte,
D’une manière délicate,
Ecarte un peu la cendre, et retire les doigts ;
Puis les reporte à plusieurs fois ;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque :
Et cependant Bertrand les croque.
Une servant vient : adieu mes gens. Raton
N’était pas content, ce dit-on.
Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes
Qui, flattés d’un pareil emploi,
Vont s’échauder en des provinces
Pour le profit de quelque roi
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)