Un Souriceau racontait à sa mère tout ce qui lui était arrivé dans un voyage dont il était de retour. ” Un jour, lui disait-il, la curiosité me prit d’entrer dans une basse-cour, et là j’y trouvai un animal qui m’était inconnu, mais dont le minois me plut infiniment. L’air doux, la contenance modeste, le regard gracieux ; au reste, la peau marquetée, longue queue, et faite à peu près comme la nôtre ; voilà ce qui le rendait tout à fait plaisant à voir. Pour moi j’en fus si charmé, que déjà je l’abordais pour faire connaissance avec lui, lorsque certain oiseau farouche, turbulent, et qui portait sur sa tête je ne sais quel morceau de chair tout déchiqueté, m’effraya tellement par ses cris perçants, que j’en pris la fuite d’épouvante. – Mon fils, lui dit la mère, remercie les Dieux qui t’ont sauvé dans cette rencontre du plus grand danger que tu puisses jamais courir. L’Animal qui t’a semblé si doux, c’est un Chat ; l’oiseau turbulent, c’est un Coq. Ce dernier ne nous veut aucun mal mais l’autre ne pense qu’à nous détruire. Reconnais donc maintenant quelle était ton imprudence, de courir te livrer toi-même à ton plus cruel ennemi. “
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Cochet, le Chat et le Souriceau
Verdizotti, 21, d’après Philelphe
« Un Souriceau sortit du bois où sa mère l’avait gardé jusqu’à ce moment. Il rencontra un Chat et un Cochet qui le mit en fuite.
— « Mère, j’ai vu en me promenant deux animaux. L’un d’eux est d’une couleur semblable à celle de ton poil ; il a des yeux brillants et doux, une longue queues teinte de diverses nuances; ce qui me plaît le plus en lui, il est si gentil qu’à ma vue il n’a pas bougé et qu’il a gardé une attitude humble et pieuse, si bien qu’il m a enhardi à rapprocher. Mais l’autre a deux pieds, un crête rouge comme le sang et des yeux farouches qui semblent de feu ; il m’a paru cruel et superbe; car, du plus loin qu’il m’a vu, il s’est élancé vers moi avec un air féroce et orgueilleux, il a ouvert ses ailes en poussant un cri aigu qui m’a rempli d’épouvante. Dans la crainte d’être dévoré par lui, j’ai pris la fuite.
— Ah ! mon fils, lui répliqua sa mère, comme ta simplicité t’induit en erreur! Sache que l’animal qui t’a paru si humble et si bon et le plus malfaisant qui se trouve sur la terre, l’ennemi naturel de ton espèce, s’il se montrait à toi avec un air bénin, c’était pour t’enhardir à l’approcher de lui afin qu’il pût assouvir sa gourmandise à tes dépens. Quant à l’autre, qui t’a paru si féroce, il est simple comme toi. Ne crains donc point sa vaine impétuosité, et redoute celui qui séduit de loin ta simplicité par sa gentillesse. »
- Verdizotti – (1530-1607)
Le Souriceau et sa Mère
À la vieille souris, disait sa jeune fille,
Je hais le petit coq, j’aime le petit chat :
Le Chat ! répond sa mère : ah ! c’est un scélérat ;
Mais le coq n’a point fait de mal à ta famille.
Ne vous fiez point trop à mine radoucie,
Et ne jugez des gens sur la physionomie.
Plus d’un tartuffe ici l’a bonne, et cependant
Sot qui lui confierait sa femme ou son argent.
- Isaac de Benserade – (1612 – 1691)
Le Cochet, Le Chat et le Souriceau
Un Souriceau tout jeune, et qui n’avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.
Voici comme il conta l’aventure à sa Mère.
” J’avais franchi les monts qui bornent cet État,
Et trottais comme un jeune Rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m’ont arrêté les yeux ;
L’un doux, bénin, et gracieux,
Et l’autre turbulent et plein d’inquiétude.
Il a la voix perçante et rude ;
Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s’élève en l’air,
Comme pour prendre sa volée ;
La queue en panache étalée. ”
Or c’était un Cochet dont notre Souriceau
Fit à sa Mère le tableau,
Comme d’un animal venu de l’Amérique.
” Il se battait, dit−il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,
Que moi, qui, grâce aux Dieux, de courage me pique
En ai pris la fuite de peur,
Le maudissant de très bon cœur.
Sans lui j’aurais fait connaissance
Avec cet Animal qui m’a semblé si doux.
Il est velouté comme nous,
Marqueté, longue queue, une humble contenance ;
Un modeste regard, et pourtant l’oeil luisant :
Je le crois fort sympathisant
Avec Messieurs les Rats ; car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.
Je l’allais aborder, quand d’un son plein d’éclat
L’autre m’a fait prendre la fuite.
− Mon fils, dit la Souris, ce doucet est un Chat,
Qui, sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté
D’un malin vouloir est porté.
L’autre Animal, tout au contraire,
Bien éloigné de nous mal−faire,
Servira quelque jour peut−être à nos repas.
Quant au Chat, c’est sur nous qu’il fonde sa cuisine.
Garde−toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine. ”
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)
Le Souriceau et sa Mère
L’histoire ici contée
illustre à sa manière
Ce que chacun doit à sa mère.
Un souriceau en quête de nourriture
Alla dans une basse-cour à l’aventure.
C’était un lieu d’effervescence.
Les habitants se chamaillaient.
Se coursaient, se toisaient
Dans une folle exubérance.
A l’écart, le souriceau aperçut
Un animal mystérieux.
Il avait fière apparence.
Robe lisse, tigrée, yeux malicieux.
Moustaches fines, élégante queue.
Regard gracieux plein d’attirance.
— J’allais, raconta-t-il à sa mère,
M’apprêter à faire connaissance.
Quand soudain surgit plein d’arrogance
Un imposant oiseau en colère.
Portant sur sa tête en guise de trophée
Un morceau de chair découpé.
Et poussant des cris si affreux
Qu’il me fallut quitter les lieux î
— Mon fils, lui dit sa mère, quelle chance
Que vous ayez été effrayé par cet oiseau,
C’est un coq, point de méfiance.
Mais l’autre, c’est un chat, un bourreau.
Notre ennemi le plus constant
Depuis la nuit des temps.
Tant de gens se fient à l’apparence
Sans aucune méfiance.
- Guy Le ray – Fabuliste contemporain)