“Du Ventre et des autres Membres” – La Main et le Pied voulurent autrefois faire un procès au Ventre, en lui reprochant qu’ils ne pouvaient suffire à le nourrir, sans qu’il y contribuât de son côté. Ils voulaient l’obliger à travailler comme les autres membres, s’il voulait être nourri. Il leur représenta plusieurs fois le besoin qu’il avait d’aliments. La Main le refusa, et ne voulut rien porter à la bouche pour le communiquer au Ventre, qui tomba en peu de temps en défaillance par cette soustraction d’aliments. Tous les autres membres devinrent faibles et atténués, par la disette où se trouva le Ventre. La Main reconnut alors son erreur, et voulut contribuer à l’ordinaire à nourrir le Ventre ; mais il n’était plus temps, il était trop affaibli pour faire ses fonctions, parce qu’il avait été trop longtemps vide ; il rejeta les viandes qu’on lui présenta : ainsi il périt ; mais toutes les parties du corps périrent avec le Ventre, et furent punies de leur révolte.
Autre version
” L’Estomac et les Pieds “ – L’estomac et les pieds disputaient de leur force. A tout propos les pieds alléguaient qu’ils étaient tellement supérieurs en force qu’ils portaient même l’estomac. A quoi celui-ci répondit: « Mais, mes amis, si je ne vous fournissais pas de nourriture, vous-mêmes ne pourriez pas me porter. »
Il en va ainsi dans les armées : le nombre, le plus souvent, n’est rien, si les chefs n’excellent pas dans le conseil.
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Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
L’Estomac et les deux Pieds
L’estomac et les deux pieds disputaient entre eux pour savoir qui portait le corps ; les pieds disaient : c’est nous qui le soutenons par notre vigueur. Mais, répartit l’estomac, si je ne prenais aucune nourriture, vous seriez incapables de marcher, de pouvoir porter quoi que ce soit.
Cette fable signifie
que celui qui entreprend une affaire sans être secondé par plus fort et plus puissant que lui, ne peut réussir, et son travail est sans profit pour lui-même.
- Luqman (Locman ou Loqman) XIe siècle av. J.-C.
Amytié et société humaine.
Comme il y a société
Entre le ventre, piedz et mains.
Ainsi sans contrariété
Doit estre entre tous les humains.
Des Membres et du Ventre
Ung jour s’esmeut à tort et par excès
Ung grand débat et dangereux procès
Des piedz et mains à l’encontre du ventre,
Luy reprochantz que dedans son sac entre
Tout leur labeur, voire du bien autant
Qu’ilz en gaignoient, et n’estoit point content,
Dont à la fin se voulurent distraire
De luy bailler le vivre nécessaire.
Le ventre crie et demande à manger.
Les piedz et mains ne s’y veullent renger :
Par la faim donc qu’il avait endurée
N’estoit possible avoir plus de durée;
Son sang, ses nerfz, s’en vont affoiblissans,
Et quant et luy les membres perissans.
Lors les deux mains, lasses de tant souffrir,
Boire et manger luy voullurenî offrir,
Mais c’est trop tard : car en brief il fina,
Et quant et quant les membres ruyna.
Tout ainsi donc qu’ung membre a son recours
A Vaulire membre en demandant secours,
Par mutuelle et tresbonne amytié,
Devons avoir l’ung de l’aultre pitié.
- Gilles Corrozet (1510 – 1568)
Les Membres et l’Estomac
Je devais par la Royauté
Avoir commencé mon Ouvrage.
A la voir d’un certain côté,
Messer Gaster en est l’image.
S’il a quelque besoin, tout le corps s’en ressent.
De travailler pour lui les membres se lassant,
Chacun d’eux résolut de vivre en Gentilhomme,
Sans rien faire, alléguant l’exemple de Gaster.
Il faudrait, disaient-ils, sans nous qu’il vécût d’air.
Nous suons, nous peinons, comme bêtes de somme.
Et pour qui ? Pour lui seul ; nous n’en profitons pas :
Notre soin n’aboutit qu’à fournir ses repas.
Chommons, c’est un métier qu’il veut nous faire apprendre.
Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre,
Les bras d’agir, les jambes de marcher.
Tous dirent à Gaster qu’il en allât chercher.
Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent.
Bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur ;
Il ne se forma plus de nouveau sang au coeur :
Chaque membre en souffrit, les forces se perdirent.
Par ce moyen, les mutins virent
Que celui qu’ils croyaient oisif et paresseux,
A l’intérêt commun contribuait plus qu’eux.
Ceci peut s’appliquer à la grandeur Royale.
Elle reçoit et donne, et la chose est égale.
Tout travaille pour elle, et réciproquement
Tout tire d’elle l’aliment.
Elle fait subsister l’artisan de ses peines,
Enrichit le Marchand, gage le Magistrat,
Maintient le Laboureur, donne paie au soldat,
Distribue en cent lieux ses grâces souveraines,
Entretient seule tout l’Etat.
Ménénius le sut bien dire.
La Commune s’allait séparer du Sénat.
Les mécontents disaient qu’il avait tout l’Empire,
Le pouvoir, les trésors, l’honneur, la dignité ;
Au lieu que tout le mal était de leur côté,
Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre.
Le peuple hors des murs était déjà posté,
La plupart s’en allaient chercher une autre terre,
Quand Ménénius leur fit voir
Qu’ils étaient aux membres semblables,
Et par cet apologue, insigne entre les Fables,
Les ramena dans leur devoir
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)