J’ai entendu parler d’un villain qui trouvoit fort mauvais que Dieu nous eût damnés pour une pomme. Dans son voisinage habitoit un bon ermite qu’il allait voir souvent. Le saint homme lui parloit toujours des choses divines, mais le manant en revenait sans cesse à dire qu’assurément Adam n’avait pas péché comme on le disoit; qu’une pomme n’est pas un morceau assez friand pour faire désobéir aux ordres exprès de Dieu, et que, quant à lui, s:il s’étoit trouvé dans le paradis terrestre, le serpent, à coup sûr, n’eût pu le tenter avec pareille amorce.
Toutes ces objections ennuyèrent l’ermite. Il résolut de les faire finir; et un jour qu’il attendoit le villain, il cacha sous une jatte une souris qu’il avoit prise, puis, quand celui-ci fut arrivé, il le quitta pour un moment sous prétexte d’aller à l’église, et lui recommanda sur toutes choses de ne point toucher à la jatte. C’en était assez de cette défense pour exciter la curiosité du villageois. Il soupçonna à tout ceci du mystère, leva la jatte, et vit une souris qui s’échappa. Le reclus à son retour le gronda beaucoup. « C’est votre faute, répondit le villain, il ne fallait pas me rendre curieux. Si vous ne m’aviez rien défendu, je n’aurais touché à rien.
— Eh bien! répartit l’ermite, puisque tu m’as désobéi sans qu’il en résultât pour toi aucun plaisir, conçois-tu maintenant comment Adam a pu désobéir à Dieu pour celui de manger une pomme. »
“Du Villain et de l’Ermite”