Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
Certain poète fanfaron
Faisait devant Esope un long panégyrique
D’un ouvrage de sa façon,
Qu’il nommait un poème épique.
« Le sujet en est grand, les vers en sont polis ;
» Il n’en est pas de meilleurs, je vous jure,
Disait-il ; « tout en est exquis,
» Mais vous en jugerez par les morceaux choisis
» Dont je vais vous faire lecture. »
Désireux d’éviter, sans blesser l’indiscret,
Une épreuve aussi difficile ,
Le sage Phrygien lui raconta ce trait :
« Je ne sais plus dans quelle ville
» Je m’étais un jour arrêté ,
» Lorsqu’un homme connu par sa simplicité,
» Vint offrir à mon hôte une maison à vendre.
» Il n’était pas dans la cité
» De maison plus belle, à l’entendre ;
» Cette maison à la commodité
» Unissait l’élégance et la solidité.
» Mais comme en semblable matière
» On est sujet à caution ,
» Tenez, ajouta-t-il, en montrant une pierre
» Que cachait son manteau, par cet échantillon
» Vous jugerez de la maison.
» D’abord, ainsi que moi, mon hôte, en sa surprise,
Rit aux éclats d’une telle sottise ;
Mais reprenant bientôt sa gravité :
« Ami, dit-il avec bonté,
» Pour prononcer sans préjudice
» Sur quelque maison que ce soit,
» Un morceau du mur ou du toit
» Ne peut suffire ; il faut voir l’édifice. »
L’adroit Ésope réduisit
L’auteur importun au silence.
En vain en pareille occurrence ,
Montrerions-nous sa présence d’esprit :
Les rimeurs de ce siècle ont moins de complaisance;
On en serait pour les frais d’un récit,
Sans qu’il en résultât la moindre conséquence.
“Ésope et le Poète”