ESOPE, rêvant à ses fables,
Parcourait certain jour un bois plein d’Animaux,
Où, pour corriger ses semblables,
Ce sage allait souvent exercer ses pinceaux,
Sans les rendre plus raisonnables.
Les bêtes parlaient dans ce temps.
Ses héros couraient tous écouter leur histoire,
Sitôt qu’il paraissait ; et vous pouvez bien croire
Qu’ils n’étaient pas toujours contents.
Les plus gros trouvaient à redire.
Le Lion se plaignait, non qu’on l’appelât sire,
Droit qu’eut dans tous les temps la griffe des Lions ;
Mais il criait à la satire,
Pour peu qu’on le traitât de mangeur de moutons.
Le Loup en fait autant. Quant à l’Ours, son compère,
Il ne se voyait pas si laid
Qu’on avait bien voulu le faire ;
A l’Ourse ses amours le monstre en appelait.
Le Renard dit son mot. Il n’est pas jusqu’à l’Ane
Qui ne se fâche aussi dans son bruyant patois,
Et ne trouve mauvais que la fable condamne
Les sons cadencés de sa voix.
Ésope était confus de trouver dans la bête
Ce qu’il avait cent fois dans l’homme censuré.
Que cela ne vous inquiète,
Leur dit-il, mes amis, je me corrigerai.
À quelque temps de là, le conteur de Phrygie
Reparaît. Chacun d’accourir.
« J’ai refait mon travail. Voyez donc, je vous prie,
S’il peut, messieurs, vous convenir. »
Il fit cette fois-ci du lion un Hermite,
Un sage, un petit saint, vivant d’herbage et d’eau,
Le frère ou cousin de l’Agneau,
Le Loup, devint Brebis ; et l’Ours hétéroclite
Un joli petit-maître, élégant, frais et beau,
Il donnait au Baudet la voix de Philomèle,
Au Tigre un cœur de tourterelle.
Chacun s’en va content ; et partant, chacun rit
Du portrait de son camarade.
L’Âne, faisant une gambade,
Dit : Je suis ressemblant. Cet homme a de l’esprit.
J’ai fait des Animaux les précepteurs des hommes,
Se disait Esope en secret ;
Et les voilà plus sots et plus fous que nous sommes,
N’écoutant que l’orgueil et leur propre intérêt !
La nature est ainsi bâtie.
Taisons-nous, et laissons le monde comme il est :
Vouloir le corriger serait une folie.
“Esope et les Animaux“