Entrant, par une nuit obscure,
Dans une diligence, un pauvre voyageur
Qui n’était pas exempt de peur,
Voit au milieu de la voiture
Un chapeau suspendu, dans le vague flottant.
Par la frayeur sa tête se montant,
Grâce à l’illusion, cette ombre vacillante
Présente à ses regards une forme effrayante :
« Pour éviter cet objet odieux,
Vite, dit-il, fermons les yeux. »
A ces mots il s’endort ; mais notre pauvre diable
Ne peut goûter un paisible sommeil,
Et croit voir de lutins une foule innombrable.
Au lever du soleil, une voix agréable
Délicieusement vint charmer son réveil.
Au lieu de ce chapeau de bizarre tournure
Qui lui causait un affreux cauchemar,
Il aperçoit la plus douce figure,
Un fin et gracieux regard,
Bref, un de ces chefs-d’œuvre où la belle nature
Sait se montrer supérieure à l’art.
« Sur mes sottes frayeurs, dit-il, passons l’éponge,
Et livrons-nous avec félicité
A l’heureuse réalité.
Le proverbe a raison : Songe n’est que mensonge. »
* Me trouvant au déclin du jour dans une diligence, près d’une dame fort aimable que je ne distinguais pas à raison de l’obscurité, je me permis quelques plaisanteries sur l’effet bizarre et presque effrayant que produisait son chapeau qu’elle avait suspendu au-dessus d’elle. Cette dame, aussi spirituelle qu’aimable, et qui m’avait reconnu à la voix, me dit que cet incident pourrait être le sujet d’une fable. J’acceptai cette espèce de défi, et le lendemain la pièce suivante parut dans un journal de Soissons, qui lui donna, je ne sais trop pourquoi, le titre de fable; ce qui m’a, soit à tort, soit à raison, déterminé à l’admettre dans ce Recueil. (Fable : L’illusion)
- Théodore Lorin, 18.. – 18..