Viancin, Charles François Antoine
On a fait de si grands progrès
Dans l’art de l’arboriculture
Qu’on semble s’y livrer exprès
Pour faire honte à la nature.
C’est à qui chez nos jardiniers.
Rivaux de savante industrie,
Dans ses poiriers, dans ses pommiers
Mettra le plus de symétrie.
Les arbres en sont torturés
De nœuds, de crochets, de baguettes,
Afin que soient bien figurés
Des éventails dans leurs toilettes.
I,e fruit n’en devient pas meilleur,
Bien qu’il prenne un volume énorme ;
Même on croit qu’il perd en saveur
Ce qu’il a gagné par la forme.
Un ce ces tristes végétaux
A son voisin disait naguère :
» — Eh bien ! de nos tailleurs nouveaux
» Comment te trouves-tu, confrère?
» — Ma foi, répond l’autre, pas bien,
» Je me sens bridé sans mesure;
» Je soutire de plus d’un lieu
» Qui me donne une fausse allure.
» On fait do nous des espaliers
» Fort élégants en apparence;
» Mais nous avons l’air d’écoliers,
» Bras en croix mis en pénitence.
» Que l’on nous émonde souvent,
» Qu’on nous décharge de la mousse,
» Qu’on empêche les coups de vent
» De nous donner mainte secousse,
» C’est fort bien : nous avons besoin
» D’une tutelle intelligente ;
» Qui ne prendrait de nous nul soin
» Rendrait notre sève indigente.
» Mais faut-il, pour porter des fruits,
» Que nos rameaux, devant, derrière,
» Soient toujours forcément conduits
» D’une façon si régulière?
» Tant d’exacte uniformité
» Ne plaît pas à la Providence ;
» Dieu fit de la variété
» Le charme de son œuvre immense.
» Quand sur la terre comme aux cieux
» Rien ne fut créé symétrique,
» Croyant faire infiniment mieux,
» A tout gâter l’homme s’applique.
» Heureusement nos gouverneurs
» N’ont pas sous leurs mains ces étoiles
» Dont on admire les splendeurs
» Au front du firmament sans voiles.
» Supposons qu’un jour par milliers
» Les astres soient dans leur domaine,
» Ils les mettraient en espaliers
» Bien alignés à la douzaine.
» Ainsi des arboriculteurs
Leurs élèves font la critique :
Il arrive à des professeurs
La même chose en rhétorique.
“Les Espaliers”