Fanfan, gras et vermeil et marchant sans lisière,
Voyait son troisième printemps.
D’un si beau nourrisson Perrette toute fière,
S’en allait à Paris le rendre à ses parents.
Perrette avait sur sa bourrique,
Dans deux paniers, mis Colas et Fanfan.
De la riche Chloé celui-ci fils unique,
Allait changer d’état, de nom, d’habillement,
Et peut-être de caractère.
Colas, lui, n’était que Colas,
Fils de Perrette et de son mari Pierre.
Il aimait tant Fanfan qu’il ne le quittait pas.
Fanfan le chérissait de même.
Ils arrivent. Chloé prend son fils dans ses bras,
Son étonnement est extrême,
Tant il lui paraît fort, bien nourri, gros et gras.
Perrette de ses soins est largement payée,
Voilà Perrette renvoyée ;
Voilà Colas que Fanfan voit partir.
Trio de pleurs. Fanfan se désespère :
Il aimait Colas comme un frère ;
Sans Perrette et sans lui, que va-t-il devenir ?
Il fallut se quitter. On dit à la nourrice :
Quand de votre hameau vous viendrez à Paris,
N’oubliez pas d’amener votre fils,
Entendez-vous, Perrette ? On lui rendra service.
Perrette le cœur gros, mais plein d’un doux espoir,
De son Colas déjà croit la fortune faite.
De Fanfan cependant Chloé fait la toilette.
Le voilà décrassé, beau, blanc, il fallait voir !
Habit moiré, toquet d’or, riche aigrette :
On dit que le fripon se voyant au miroir,
Oublia Colas et Perrette.
Je voudrais à Fanfan porter cette galette,
Dit la nourrice un jour ; Pierre, qu’en penses-tu ?
Voilà tantôt six mois que nous ne l’avons vu.
Pierre y consent, Colas est du voyage.
Fanfan trouva (l’orgueil est de tout âge)
Pour son ami Colas trop mal vêtu :
Sans la galette il l’aurait méconnu.
Perrette accompagna ce gâteau d’un fromage,
De fruits et de raisins, doux trésors de Bacchus.
Les présents furent bien reçus,
Ce fut tout ; et tandis qu’elle n’est occupée
Qu’à faire éclater son amour,
Le marmot lui bat du tambour,
Traîne son chariot, fait danser sa poupée.
Quand il a bien joué, Colas dit :
C’est mon tour. Mais Fanfan n’était plus son frère,
Fanfan le trouva téméraire ;
Fanfan le repoussa d’un air fier et mutin.
Perrette alors prend Colas par la main :
Viens, lui dit-elle avec tristesse,
Voilà Fanfan devenu grand seigneur ;
Viens, mon fils, tu n’as plus son cœur.
L’amitié disparaît où l’égalité cesse.
“Fanfan et Colas”