Fables et poésies de Jean de La Fontaine
Contre les aquilons de colère animés,
Flore et Zéphire, renfermés
Dans une chaude orangerie,
Comme dans leur infirmerie,
Jusqu’à ce que l’hiver finît son triste cours,
S’entretenoient de leurs amours,
Et se disoient souvent : « Au retour des beaux jours,
Nous sortirons d’ici pour réjouir le monde;
Jouissons cependant de cette paix profonde,
Et bénissons tous les moments
Qui nous comblent de joie et de contentements. »
Dans ces doux entretiens près de cinq mois se passent.
En vain les jours sont allongés:
Ils ne les trouvent point changés.
Cependant les humains se lassent,
Ils implorent le Ciel, pour avoir du beau temps.
« Il ne tient pas à moi, répondit le Printemps;
Mais je n’en puis donner, sans Zéphire et sans Flore. »
On députe vers eux la diligente Aurore,
Qui, portant partout la clarté,
De leur sombre séjour perce l’obscurité,
Surprend les deux amants, sans craindre leur murmure.
« Je viens ici, dit-elle, au nom de la Nature,
Vous presser, de sa part, de servir l’univers.
Zéphire, suis-moi donc, retourne dans les airs;
Et, vous, Flore, rendez l’émail à nos prairies;
Que nos campagnes soient fleuries!
C’est trop donner à votre amour.
En vain vous prétendez le dérober au jour :
Le public, offensé de votre longue absence,
Seconde les rapports qu’en fait la médisance.
Ma chère Flore, enfin, parlons sincèrement :
N’ai-je pas, comme vous, un agréable amant?
Me fait-il négliger les soins que je dois prendre ?
Non, contre mon devoir, je ne puis être tendre
Ni pour Céphale ni pour moi.
Puis donc que le public en souffre tant de peines,
Faites-vous, désormais, une pareille loi,
Et n’abandonnez plus ni les bois, ni les plaines.
Je conviens que l’amour est doux,
Et je sais, comme vous, qu’en plaisirs il abonde;
Mais ne songez pas tant à vous,
Et songez un peu plus au monde. »
1, Cette fable est la même que la fable précédente; mais avec de telles différences, que nous avons cru devoir la conserver ici telle que le manuscrit nous la donne. On sait que La Fontaine corrigeait et remaniait ses vers jusqu’à ce qu’il en fût à peu près content. Walckcnaer, dans son Histoire de la vie et des ouvrages de la Fontaine, n’a pas oublié de remarquer que le fabuliste avait fait deux ou trois versions différentes de ses meilleures fables : « Lorsque La Fontaine dit qu’il fabriquait ses vers à force de temps, il n’exagère pas; nous en avons la preuve par une fable intitulée : Le Renard, les Mouches et le Hérisson. On a retrouvé une première composition de sa main, et, en la comparant à celle qu’il a fait imprimer, on voit qu’il n’a conservé que deux vers de cette première version.» (Histoirede LaFontaine ,édit. de 1820, p. 328.)(Flore et le Zéphire)