Un entretien avec le fabuliste Christian Satgé.
J’ai demandé au fabuliste et poète Christian Satgé « pourrai-je vous poser quelques questions ? ». Il a accepté aussitôt. Un entretien authentique et sans façon. Un poète presque sûr de lui, honnête dans ses réponses, bienveillant envers mon questionnaire et affable avec ses voisins de la Rue. Un Satgé comme on ne l’imagine pas. L’homme qui se confie ici de bonne grâce… philosophe, n’a occulté ou refusé aucune question.
J’ai découvert un rimeur aimable, ouvert et sympathique. En somme un humain tel qu’il en existe…encore…
J’ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante et suis devenu rapidement un obsédé textuel & un rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… C. Satgé.
L’argent qui, aujourd’hui, vous vêt, ma mie,
Demain pourrait être frappé d’anémie ! »
Madame & son vieux.
Bonjour M. Satgé, comment allez-vous ?
– Comme beaucoup de ruraux : en voiture !… Et, en toute confidence, il m’arrive même de revenir avec. Sinon pas trop mal et vous même ? (Je vais bien merci. Audrey)
Vous êtes professeur d’histoire et de géographie dites-nous un peu plus sur votre métier.
– On pourrait en dire des sommes et en écrire plus encore… Pour ma part, modestement, j’essaie de le faire le plus sérieusement du monde sans jamais me prendre au sérieux. Gageure s’il en est mais cela n’a pas l’air de déplaire à ceux qui me subissent le plus !
Vos élèves savent peut-être que vous êtes fabuliste, ils en pensent quoi de leur professeur ?
– Je ne le crois pas mais ils sont plus familiers que moi-même d’internet et peut-être m’y ont-ils « trouvé » sans m’en dire plus. Quant à savoir ce qu’ils pensent de moi, je crois que c’est à eux qu’il faudrait le demander… mais pas trop fort cela pourrait revenir à mes oreilles. Et là…
Vous vous souvenez depuis quand vous êtes résident de la Rue des Fables ?
– Je l’ai découvert en vous lisant Audrey (Actualités n°1) et me fie donc à vous – février 2016 -Après avoir longuement hésité car j’étais déjà un passant régulier de la Rue qui ne s’appelait pas encore ainsi. J’y ai vu qu’il existait des fabulistes contemporains et donc que je n’étais pas seul à croire que l’apologue pouvait se conjuguer au présent et avait peut-être un avenir. Après la publication d’un texte d’Henri Cachau, je crois, j’ai osé un envoi. Sans réel espoir à dire vrai ; le lendemain j’étais sur écran. L’accueil de la Rue ayant été des plus sympathiques et des plus encourageants, je récidive régulièrement un peu étonné encore que mes mots puissent avoir quelque écho. C’est pourquoi vous me trouvez aussi surpris qu’honoré d’être le premier à répondre à vos questions…
A quel âge avez-vous écrit votre première fable ?
– C’était en 2006… Mais mon amour des fables remonte à l’école primaire. Nous avions, au cours moyen, une maîtresse qui nous contraignait à recopier et à apprendre une poésie par quinzaine. Elle avait pour cela deux énormes « Boîtes à poèmes » où elle stockait tous les possibles et où nous piochons selon nos goûts ou nos envies la prochaine victime qui serait pendue à nos lignes et ressuscitée par notre mémoire. On y trouvait de tout (époque, genre, auteur, longueur,…) et J. De La Fontaine y ayant une bonne place. Je l’ai souvent choisi…
Si je vous dis que vous faites beaucoup trop de jeux mots, de calembours et autres mots d’esprit dans vos écrits.
– « Beaucoup trop » ce serait dommage. Je ferais une différence entre fables et édito’. Dans les premières, m’estimant moins poète que rimeur, j’aimerais qu’elles prêtent à sourire pour donner à réfléchir et donc je n’hésite pas à en inclure. Dans les seconds, jouant au « jongleur » au sens où le Moyen-Âge entendait ce mot – le jongleur de mots ! – je « me lâche » et recherche une certaine virtuosité en jouant sur le sens et les sons. C’est ma patte, ma facture à payer content, n’ayant pas hélas le talent de mes « pères » ou de mes pairs.
Est-ce que vous parlez avec vos amis comme vous écrivez ?
– Étant plutôt « nature » et pas que dans mes sujets d’apologues, je suis toujours ainsi avec les miens, mes amis, mes élèves,… Et même avec vous, non ?!
Un exemple, dans votre dernier édito qui sera publié début mars 2019 vous écrivez « Pour mes petites cellules grises, bon gré mal gré, elles sont mon crack en ce monde de krach et de couacs, soient-elles fruits d’un crayon gris ! … En grâce à elles, il en faudra plus pour que je craque, ventre Saint-Gris ! » Moi, je n’ai pas tout compris, qu’es aquo ?
– Je ne dis ni plus ni moins que les fables, en notre monde où tout va si mal, sont ma bouée de sauvetage ; celles que je lis comme celles que j’écris. J’aime à torturer les neurones – et autres fleuves de notre hexagonal pré carré – de mes lecteurs alors que notre époque tend à une bêtifiante simplification… comme à une gravité des plus lassantes.
Quand vous titrez vos fables : « Ah non, l’Ânon ! » ou encore « Ainsi se meut le Monde émeu » vous ne pouvez pas faire simple ?
– Humour toujours… et amour surtout du jeu permanent entre sens et sons que j’adore.
Catherine Thévenet vous a laissé un commentaire sur la fable « les deux oiseaux » : « Richesse infinie d’un monde où (mais pour combien de temps encore ?) – les oiseaux ne sont pas des clones. Merci pour cette fable. »
– Je reste étonné que mes mots puissent ne pas laisser indifférent et plus encore qu’ils viennent à plaire. Un tel commentaire me flatte autant qu’il me touche. Cela prouve que la fable reste un excellent vecteur non d’une morale ou d’une bien-pensance mais d’une observation, sans valeur de jugement ou de péjoration, de nos proches et de nos prochains car un fabuliste, et j’aspire à en être un, est avant tout un témoin de son temps, de ses contemporains… et de lui même.
M. Satgé, entre la fable, le poème et l’édito lequel préférez-vous ?
– Peut-on choisir entre ses enfants ?!… J’aime tous les genres que je pratique – y compris l’aphorisme quotidien – même si c’est à la demande du maître de cérémonie de cette bonne Rue que je me suis lancé dans l’édito’ et qu’il a accepté que ce soient les délires que vous savez. La prose n’est pas d’ordinaire ma tasse de thé sauf si elle m’oblige à divertir en m’amusant.
Vous êtes La Fontaine ou plutôt Florian et pourquoi ?
– J. De la Fontaine car il fut celui qui a posé ce qui sont pour moi les bases du genre – poésie et rébellion (ou rebrousse-poil) – et qu’il a donné ses lettres de noblesse à un genre considéré jusqu’alors comme mineur. Mais j’ai une tendresse toute particulière pour J.-B. Claris de Florian parce qu’il est resté dans l’ombre de son prédécesseur et a pourtant produit de véritables petits joyaux… quoique plus conventionnels et consensuels.
Autant de fables et pas de recueil publié qu’attendez-vous ?
– À ce jour, j’ai écrit plus de 700 fables plus ou moins heureuses. Rue des Fables en a fait sortir de l’anonymat plus d’une centaine. Je suis loin des plus de 1000 apologues de Pierre Simard mais songe à publier depuis longtemps tout en me refusant (immodestie ?) « au compte d’auteur ». Malgré les refus réitérés des maisons d’éditions, grandes ou petites, sollicitées qui mésestiment le genre dans lequel je souhaite m’illustrer – à défaut d’avoir un illustrateur attitré ou d’être, comme Daniel Allemand, doué pour le pinceau comme pour la plume – ou parce que ce n’est pas assez bon, je ne désespère pas et continue à prospecter… non sans philosophie.
Quel est le sujet d’actualité en France aujourd’hui qui vous interpelle le plus, en deux mots ?
– La situation politique et sociale assurément… Désolé, ça fait 6 mots !
M. Satgé vous avez beaucoup d’humour, on le ressent quand on vous lit. Moi j’aime assez et votre entourage ?
– J’espère ne pas les lasser ni en faire « beaucoup trop ».
Un mot sur notre Rue. (Court svp)
– Je ne dirais jamais tout le bonheur que j’ai à être un des locataires de cette Rue comme à m’y promener. Tout m’y plaît, et vous lui avez offert, vous-mêmes, de nouvelles couleurs des plus plaisantes à un moment où du sang neuf (Paul Vallin, David di Paolo,…) vient lui donner un peu plus d’animation encore. J’y trouve tout ce qui me plaît : des auteurs anciens que je ne connaissais pas, des textes méconnus d’écrivains que je croyais connaître, des auteurs actuels des plus prometteurs (Coucou Geno !) et une convivialité vraiment plaisante. Je m’y enrichis donc et y trouve parfois des sujets d’inspiration…
S’il y a une question que j’ai oublié de vous poser ce serait laquelle ?
– « Pourquoi ne savez-vous pas faire court ? »… Parce que je suis fils du Sud, un latin donc un bavard et que conter et raconter est ma passion… en plus de mon métier.
Avant de se quitter un dernier mot pour finir.
– J’aspire à continuer à vous amuser avec mes textes le plus longtemps possible en attendant qu’un éditeur pas trop distrait passe par la Rue et jette un coup d’œil aux bluettes qui sont à l’étal. Mais l’espérance est le dernier des maux sortis de la boîte de Pandore, alors ai-je raison d’espérer ?!
Audrey vous dit Merci.

Sur cette scénette s’est jouée une séance dans laquelle Christian Satgé était le gentil et moi l’indiscrète… Grand merci à M. Satgé pour sa disponibilité et sa courtoisie sans pareil(le). Audrey, l’équipe de Rue des Fables, le 23 février 2019.
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