A mon fils Henry, âgé de 7 ans.
Laissez dire les sots , le savoir a son prix,
La Fontaine.
Mon fils, de ta faible raison
Il est bien tems de faire usage;
C’est précisément à ton âge
Que le travail est de saison.
Tu doubleras ta jouissance
En le mêlant à tes amusemens :
Aux jeux de ta première enfance
Dérobe donc quelques momens.
Je vais te conter une fable
Dont les acteurs sont sous tes yeux ;
Ce que l’on voit se comprend mieux,
Et le faux parait vrai, dès qu’il est vraisemblable,
Dans une haie , au bord d’un grand chemin,
Un groseiller croissait, sans soins et sans culture ;
A peine montrait-il quelque peu de verdure ;
Mais pour du fruit ! pas plus que sur ma main.
Un jardinier le prit ; le mit en son jardin ,
Dont la terre était préparée ;
Engrais , labours et tout ce qui s’ensuit,
Rien ne fut épargné ; dès la première année,
Le groseiller fut tout couvert de fruit,
Les noirs soucis, la jalousie,
Mille chagrins, mille dégoûts
Sont les épines de la vie ;
C’est la haie où nous naissons tous;
Le groseiller , dans l’état de nature ,
C’est toi, mon fils, en ce moment ;
Le jardinier, c’est moi, certainement ;
L’étude sera la culture,
Et le fruit sera le talent.
“Jardinier et le Groseiller”
Fablier du premier âge avec explications morales – 1808 .
Cette fable, mes enfans,est composée pour vous Faire sentir combien il est essentiel de cultiver votre esprit qui commence à s’ouvrir. Si l’on eût laissé le groseillier sans soins et sans culture au milieu de la haie où il était né, il n’eût jamais donné de fruit. Si l’on vous abandonnait également à vous-mêmes , vous n’auriez jamais aucun talent; vous resteriez dans l’ignorance; et le mépris est le prix qui revient aux ignorans. En effet, qu’est-ce qui se soucie d’un ignorant ? personne : et à quoi est-il propre ? à rien. On le laisse donc dans sa nullité.; on fuit même sa compagnie, qui n’offre aucun agrément. Connaissez donc, mes enfans, toute l’étendue de la reconnaissance que vous devez aux bons païens ou aux sages instituteurs qui cultivent votre Jeune raison, la dirigent et l’ornent de connoissances utiles et agréables.
Le groseiller est, comme vous savez, un petit arbrisseau qu’on trouve dans tous nos jardins. Il y en a de plusieurs espèces : les unes donnent des groseilles blanches, d’autres des rouges, et d’autres de grosses groseilles rondes, qu’on appelle groseilles à maquereau. Les premières espèces sont saines et rafraîchissantes. On multiplie ces Utiles arbrisseaux de bouture, c’est-à-dire en piquant dans la terre une branche verte qui y prend racine.