Baron de Ladoucette
Homme politique, poète et fabuliste XVIIIº – Jean de La Fontaine et la mouche
Sur un gazon naissant qui de fleurs s’émaillait,
Le Bonhomme, un matin, mollement sommeillait.
Ne rien faire et dormir se partageaient sa vie :
Du moins il l’assura, de nous pour se moquer.
Soudain, en bourdonnant, une mouche hardie
Arrive et sans pitié se met à le piquer.
Il se lève, il la chasse : à quoi bon ? L’assaillante
Sonne la charge encor, le blesse, l’ensanglante :
» Cesse de vains efforts et reconnais ma loi,
» S’écriait-elle ; un bœuf est plus puissant que toi,
» Je le mène à ma fantaisie,
» La fatigue t’abat, te voilà sur les dents ! »
C’était mordante facétie
De redire ainsi ses accents.
« Qui peut donc t’inspirer cette ardente colère ?
— » Ton vers à mes dépens s’est, un jour, diverti.
— » Je suivais le récit d’un chroniqueur sincère.
— » Rétablissons le fait méchamment travesti.
» Six chevaux d’un mont rude escaladaient la cime ;
» Ils allaient, essoufflés, faire choir dans l’abîme
» Le coche pesant qu’ils traînaient.
» Pour échapper à ton contrôle.
Fallait-il à ce char atteler mon épaule ?
» Nuls voyageurs ne le poussaient ;
» Insoucieux ils folâtraient.
» Sur te nez du cocher je m’assieds, il s’éveille ;
» Puis, je vole aux chevaux, je harcèle leurs flancs
» D’un dard plus acéré que le dard de l’abeille.
» Ils vont franchir des pas glissants :
Je leur parle d’honneur, j’enflamme leur courage ;
» Par amour du bien, je fais rage ;
» Bref, l’équipage entier me dut
» Son salut.
» Et to, c’était trop peu d’un injuste reproche :
» Tu me donnes renom de sotte vanité,
» Et brevet d’inutilité.
» On me montre du doigt ; c’est la mouche du coche,
» Sera pour mes derniers neveux
» Un proverbe malencontreux.
» En France que de têtes folles
» Gravent sur l’airain tes paroles,
» Comme un oracle de nos dieux !
» J’ai cependant l’humeur traitable :
» Ici fais amende honorable,
» Et je vais l’accorder un pardon gracieux.
» Adopte ma morale et reste-s-y fidèle :
» Si tu décourages le zèle,
» Il est languissant, endormi.
» Le zèle, c’est un arc qu’il ne tant pas détendre.
» Mais n’exige de ton ami
» Que les services qu’il peut rendre. »
Baron de Ladoucette, Jean de La Fontaine et la mouche