La vie des ouvrages de Jean de La Fontaine
Histoire chronologique de la vie et des œuvres de La Fontaine:
1654 – 1658 – 1659 – 1660 – 1661 – 1663 – 1664 – 1665 – 1667 – 1669 – 1671 – 1673 – 1674 – 1680 – 1681 – 1682 – 1684 – 1685 – 1686 – 1687 – 1688 – 1689 – 1691 – 1692 – 1693
1686, 1687. — Je ne vois rien à placer en l’année 1686, si ce n’est quelques fables qu’il faisoit de temps en temps; mais, en 1687, les couplets sur l’air des Folies d’Espagne, qu’il fit pour Mme d’Hervart, trouveront bien leur place. M. d’Hervart lui avoit donné un logement chez lui, qu’il a gardé jusqu’à la mort. Il ne pouvoit moins faire que de chanter Mme d’Hervart, sa bienfaitrice,et l’une des plus belles femmes que l’on ait jamais vues.
Il écrivit, le 31 août 1687, à M. de Bonrepaux, qui étoit ambassadeur pour la France à Londres, une lettre pleine de traits vifs, badins, et d’une souveraine variété : il n’épargne pas dans son badinage ses confrères de l’Académie :
Quarante beaux esprits certifieront ceci;
Nous sommes tous autant, qui dormons, comme d’autres,
Aux ouvrages d’autrui ; quelquefois même aux nôtres.
Il y parle de la Chambre des Philosophes; c’est qu’il avoit fait jeter en moule de terre tous les plus grands philosophes de l’antiquité, qui faisoient l’ornement de sa chambre. 11 y avoit un clavecin, et ce clavecin n’étoit pas sans une jeune personne qui en jouoit :
La Cloris est jolie et jeune, et sa personne
Pourroit bien ramener l’Amour
Au philosophique séjour.
Qu’elle ait à mon égard le cœur d’une inhumaine,
Je ne m’en plaindrai point, n’étant bon désormais
Qu’à chanter les Cloris, et les laisser en paix.
Mme la duchesse de Bouillon étoit alors en Angleterre : il en entretient M. de Bonrepaux; il dit que c’est un plaisir de la voir disputant, grondant et parlant de tout avec beaucoup d’esprit; je veux, dit-il, fui écrire; et aussi lui écrivit-il une lettre merveilleuse.
Il a encore écrit une autre lettre à M. de Bonrepaux, après la maladie du roi. C’est un éloge toujours nouveau de ce monarque. Il est très-bien composé, et a mérité d’entrer dans le Recueil de vers choisis de l’année 1693, dont nous avons déjà parlé .
Cette lettre écrite à Mme la duchesse de Bouillon, la réponse qu’elle y fit faire par Saint-Évremont, la lettre de La Fontaine à Saint-Évremont, ornent bien cette année 1687, et on est bien surpris de voir que le poète, qui avoit alors près de soixante et dix ans, eût tant de feu et tant de galanterie dans l’esprit. On diroit que ce sont des ouvrages d’un jeune homme, s’il ne parloit pas de ses rhumatismes, do sa vieillesse, et s’il ne s’associoit pas avec Anacréon, Saint-Évremont et Waller, vieux poète anglais, pour faire trois cents ans à eux quatre. 11 a raison de dire :
Mais verrez-vous aux bords de l’Hippocrène
Gens moins ridés en leurs vers, que ceux-ci!
Il n’y a jamais eu que lui, qui ait pu dire sur la contestation des beautés entre les femmes, et sur les louanges qu’on leur peut donner :
Vous vous aimez en sœurs. Cependant j’ai raison
D’éviter la Comparaison.L’or se peut partager, mais non pas la louange.
Le plus grand orateur, quand ce seroit un ange,
Ne pourroit contenter, en semblables desseins,
Deux belles, deux héros, deux auteurs, ni deux saints.
Et personne avant lui n’avoit dit et ne dira après lui, pour finir une digression : Retournons à nos moutons; ces moutons, madame, c’est Votre Altesse et Mme Mazarin. Enfin, de quelle ingénieuse invention ne s’est-il point servi pour.annoncer à toute la terre la beauté des deux sœurs, dans un ban qui seroit publié par deux hérauts?
Marianne sans pair, Hortense sans seconde,
Veulent les cœurs de tout le monde.
Ces trois lettres ont déjà paru dans plusieurs recueils. On les a mises dans les ouvrages de Saint-Évremont, qu’elles n’ont point gâtés, et elles ne peuvent qu’embellir tous les lieux où elles sont. Où pourrions-nous mieux placer qu’avec madame la duchesse de Bouillon une autre lettre de notre poète, encore écrite à cette princesse, et qui n’est imprimée nulle part? Qui ne seroit fâché de perdre le portrait
D’une aimable et vive princesse
A pied blanc et mignon, à brune et longue tresse;
Nez troussé : c’est un charme encor, selon mon sens ;
C’en est même un des plus puissants.
Pour moi le temps d’aimer est passé, je l’avoue,
Et je mérite qu’on me loue
De ce libre et terrible aveu,
Dont pourtant le public se souciera très-peu.
Que j’aime ou n’aime pas, c’est pour lui même chose.
Mais, s’il m’arrive que mon cœur
Retourne à l’avenir dans sa première erreur,
Nez aquilins et longs n’en seront point la cause.
On met avec plaisir dans cette histoire les nez troussés, qui ne s’attendoient pas à y être. Mais si on ambitionne leur suffrage, on espère que les nez aquilins, toujours si raisonnables, entendront raison.
“Jean de La Fontaine et Bonrepaux”