Jésus, qui parcourait le monde, porta un jour ses pas dans un petit marché.
Il vit un chien, comparable à un loup , gisant sur la voie; il remarqua que la vie était sortie de son corps, comme Joseph du puits 1.
Et autour de ce corps, une foule était rangée, tels des vautours dévorant une charogne 2.
L’un disait : « L’horreur de ce spectacle obscurcit le cerveau 3 et le trouble, comme un souffle éteignant une bougie. »
Un autre ajoutait : «Pour tout profit, il n’y a (en ceci) que les ténèbres des yeux, et l’effroi du cœur. »
Chacun chanta un air sur la même gamme, et accabla de duretés le corps du chien mort.
Lorsque à son tour Jésus prit la parole, il passa sur les défauts, pour ne s’occuper que des qualités.
Il dit : « Parmi les ornements qui se trouvent sur l’édifice de ce corps, voici des dents dont la blancheur surpasse celle des perles »
Ne considère point les défauts des autres et tes bonnes actions; plonge plutôt tes regards en toi-même, et vois tes propres défauts.
Le jour où tu prends en main le miroir, humilie-toi; ne sois pas admirateur de toi-même4.
Ne va pas te parer comme le printemps, si tu ne veux exciter la convoitise de la Fortune maligne.
- NÉZÂMI, Makhzèn-ol-Asrâr.
* Cette historiette nous montre l’immense charité de Jésus qui, dans le corps d’un chien mort, objet de dégoût et d’horreur pour tous, trouve encore quelque chose à louer !
Pareille mansuétude ne se rencontre guère chez les hommes. En revanche, il ne manque pas de gens qui, dans une belle figure, ou une œuvre excellente, trouvent toujours quelque chose à blâmer. (Jésus, les désœuvré et le Chien mort)
1.Littéral : «…son Joseph était sorti du puits». L’âme, ou la vie, se trouve ainsi comparée à Joseph.
2.Outre que la comparaison est matériellement juste, il y a ici une allusion aux propos que tenaient ces gens : on dit couramment en français déchirer la réputation d’un homme, ou déchirer le prochain, pour : en dire du mal.
3.Pour le mot demâgh, que je rends par «cerveau», voir la note C de l’appendice, à la fin du volume.
4. Qui n’est point tout à fait dégagé de soi-même,
Qui se regarde encore et s’aime,
Voit peu d’occasions sans en être tenté.
P. Corneille, L’Imitation, liv. I, ch. VI.