Albert Mary
Poète et fabuliste XIXº – Jupiter et Mercure
Un beau jour s’ennuyait l’auteur de la Nature…
— Puissant père des dieux,
Quel noir chagrin se lit sur ton front soucieux ?
Lui demanda Mercure.
— Depuis que j’ai tiré le Cosmos tout entier
Du chaos, « dit Jupin », je me suis fait rentier.
Or, dans le firmament, le disque de la lune
Succède chaque soir aux feux du chaud soleil.
Et de distraction, je n’en ai plus aucune :
L’Univers est parfait ; mais c’est toujours pareil…
Un labeur quotidien très léger peut suffire.
A donner à chacun ce dont il a besoin ;
Toute âme sans remords est joyeuse et sans soin ;
La beauté seule crée l’amour et le sourire ;
Quiconque a de l’esprit brille au-dessus des sots ;
Quiconque est élégant se distingue des rustres.
Mercure, que veux-tu ? Voilà soixante lustres
Qu’à tous mes conseillers je redis ces propos.
Mais aucun, jusqu’ici, n’a trouvé de remède…
A la voix de Minos, il faudra que je cède,
Et que je laisse tout, tel que c’est aujourd’hui !
Lui répondit Mercure, « eh bien ! Sois tout oreilles.
Tu me laisseras faire, et tu verras merveilles.
Le monde, à tout jamais, sera bouleversé ;
J’étoufferai jusqu’au souvenir du passé.
Le vaillant travailleur sera dans l’indigence ;
On persécutera sans trêve l’innocence ;
La plus sombre laideur et la sénilité
Pourront prendre, en amour, le pas sur la beauté ;
Les niais, les lourdauds, commanderont aux autres :
Ai-je assez bien parlé ? Jupin, es-tu des nôtres ?… »
Jupiter approuvant ce programme engageant,
Mercure tint parole : il inventa « l’argent ».
Albert Mary, Jupiter et Mercure
Autres publications d’Albert Mary
- La vie et l’évolution du monde minéral. Albert Mary, J. Rousset, 1907
- Études expérimentales sur la génération primitive. Albert Mary, J. Rousset, 1907
- Évolution et transformisme: Secrets de la vie. Albert Mary, Jules Rousset, 1907