Que je maudis mon triste sort,
Disoit une barque imprudente !
Je ne fais que passer de l’un à l’autre bord,
Sans pouvoir échapper à la main vigilante
D’un Batelier adroit & fort.
Que ne puis-je suivre la pente
Où les flots semblent m’inviter !
Ah ! si j’étois indépendante,
J’irois comme eux sans m’arrêter.
Je verrois des plaines riantes ;
Je traverserois des Cités ;
J’irois à pas précipités
Dessus les ondes écumantes ;
Jusqu’à ce qu’enfin dans les mers,
Ayant une vaste carrière,
Je ne connusse de barrière
Que les bornes de l’Univers.
Tandis qu’elle exhaloit ces plaintes ;
Et formoit de si beaux projets,
Un enfant dépourvu de craintes,
La détache, & la met au comble des souhaits.
Qu’arriva-t-il ? Dès qu’elle fut sans guide,
En tournoyant au gré des eaux,
A quatre pas un courant plus rapide
Contre un rocher la mit toute en lambeaux ;
Attendez-vous, folle jeunesse,
A subir un pareil destin ,
Si vous rejettez l’heureux frein
Que vous oppose la tendresse.
“La Barque”
Mercure, vol. I, Janv. 1771.