Un jour, j’errais pensif sur les bords de la Seine.
Tout en suivant le cours de l’eau,
Je songeais à l’espèce humaine ;
Je repassais, dans mon cerveau,
Le chagrin qui l’attend au sortir du berceau,
Les passions, l’orgueil, l’égoïsme, et la haine ,
Par qui nos tristes jours deviennent un fardeau.
Ensuite j’opposais à cet affreux tableau,
L’amitié dont le charme embellit seul la vie;
Et, rappelant, à mon âme ravie,
Du passé les instants heureux ,
J’étais avec toi, cher La Caze,
Dans ce charmant Berlin où, loin de tout fâcheux,
Montés ensemble sur Pégase ,
On nous vit offrir, sans emphase,
Aux nymphes d’Hélicon notre hommage et nos vœux.
Tout-à-coup j’aperçois une barque légère :
De deux rameurs les mouvements égaux
La font rapidement voguer sur la rivière;
A peine elle rasait la surface des flots.
Soudain s’élève une querelle ;
De colère, nos jeunes gens
Ne rament plus qu’à contre-sens.
Gare! gare! ils feront chavirer la nacelle…
Nos étourdis n’atteindront point le port ;
Ils s’en vont droit au sombre bord.
On l’a dit : notre vie est un pèlerinage
Auquel nous condamne le sort.
Combien un ami vrai nous aide et nous soulage !
Il charme, par ses soins , les peines du voyage ;
Mais il faut un parfait accord,
Car sans cela l’on fait naufrage .
“La Barque et les Rameurs”