Parlant pour un lointain pays.
J’obtins de quelqu’un une lettre
Pour l’un de ses anciens amis.
On me chargea de la remettre
En mains propres. On espérait
Que le correspondant, homme recommandable,
Me ferait bon accueil et me témoignerait
Le désir de m’être agréable.
Toutefois je fus prévenu
Que cet homme était fort avare :
Tel il était jadis, et je crois assez rare
Qu’avare, on soit jamais tout autre devenu.
Je partis, je voguai; poursuivant d’Amphilrite,
Je traversai tout l’univers.
Enfin, las de courir les mers,
Revenant sur mes pas, dans un port moscovite
Je descendis un jour. Mon homme y demeurait.
J’y devais séjourner pour certain intérêt.
Chez mon homme je courus vite.
J’arrivai sans effort chez lui.
La servante, une jeune et rieuse Française,
Me dit bientôt: — Ne vous déplaise,
Impossible à Monsieur de vous voir aujourd’hui. —
— Cependant… — il est en affaire. —
— Je reviendrai demain. — Demain, je ne crois guère
Qu’il vous puisse mieux recevoir. —
— Pourtant j’ai besoin de le voir;
Une lettre à remettre, enfin…. — Faut-il le dire?
Monsieur s’occupe à faire une bonne action. —
— Je ne sais que penser, car je vois un sourire…
Donnez-m’en l’explication. —
— Jamais il n’aura fait d’action aussi belle ;
Chacun l’en bénira. — Mais enfin quelle est-elle? —
— Les parents de Monsieur vont encor renchérir
Sur moi. — S’agirait-il d’une chose bien rare,
Ou bien brillante? — Il va mourir.—
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Quel bien plus précieux attendre d’un avare?
“La belle action d’un Avare”
- Alexis Rousset , 1799 – 1885