Un milan déjà vieux faisait le petit saint:
Il avait l’air paterne et le ton débonnaire;
Sans cesse il déclamait, de rigorisme atteint,
Contre les mœurs du siècle, en.faisant bonne chère:
Du reste, chaque oiseau lui paraissait un frère…
Voit-il un malheureux, il l’aborde, il le plaint,
Pleure avec lui, se désespère,
Et c’est pour finir sa misère,
Par pure humanité, qu’il lui donne la mort.
Notre vertueux personnage,
Un jour qu’il était en voyage,
Sous sa griffe met, sans effort,
Un gros chapon du Mans, l’honneur de sa province ;
C’était un vrai morceau de prélat ou de prince.
Le béat rend grâces au sort,
Ou plutôt à la providence ;
Et, plumant la victime, il l’avale en silence;
Puis ramasse les abattis
Qu’il partage entre ses amis :
Il ne fut bruit, alors, que de sa bienfaisance.
De ce qu’ils ont volé se montrant généreux,
Bien des gens, comme lui, passent pour vertueux.
J’en vois, fripons cafards, qui font les bons apôtres,
Et qui disent au mieux leurs longues patenôtres.
Toujours l’hypocrisie eut des suppôts nombreux :
Ne pouvant se tromper, on veut tromper les autres.
“La Bienfaisance du Milan”