Puisque vous venez à l’ouvrage
Lorsque les bleds font moissonnés ,
Pauvres fabulistes , glanez ,
Glanez , c’est-là votre partage.
Encor, gardez-vous bien de crier, quel dommage !
Le lecteur répondroit , en vous riant au nez :
” La Fontaine a tout pris ; il eut droit de tout ” prendre,
” Et fut sage de se hâter;
” Car s’il eût voulu vous attendre,
” Vous auriez bien pu tout gâter.
” Les épis qu’oublia sa tranchante faucille
” Sont à vous ,le public là-dessus vous dit,
Puisqu’on nous le permet, pillons.
De Phèdre en fuivant les fillons
J’y trouve une fable concise
Que Messire Jean n’a pas prise.
Muse, hâtons-nous, prenons-la.
Vatelet, Nivernois pourraient passer par-là,
En vers nobles et doux ils l’auraient bientôt mise ;
Y toucher après eux feroit folle entreprise.
En voyant agir des fourmis,
Un beau jour certaine brebis
Forma le projet dans sa tête
D’avoir un magasin. Bientôt elle est en quête;
Elle trotte, va, vient, ramasse des épis,
Les entasse dans son logis,
Puis les bat, les vanne, et les crible;
Crible, van, et fléaux sont ses pieds et ses dents ;
Une brebis n’a pas de meilleurs instrumens.
Enfin en peu de jours, dans son manoir paisible,
La demoiselle voit un fort joli monteau
De froment pur, bien net et beau.
” Voilà dit-elle, ma pârure
” Pour le tems ou l’hiver
” De ses frimats aura couvert
” Les champs, les prés, les bois,et brûlé la verdure.
Vers la fin de l’automne,à sa porte un vieux cerf
Vient frapper et lui dit : ouvrez, je vous conjure.
La brebis de répondre, et pour quoi faire ouvrir ?—
” Ouvrez, voisine, ouvrez, de faim je vais mourir ”
” Si l’on ne me donne assistance.
” Prêtez-moi de vos bleds.—Je n’ai que ma pitance,
” Et l’hiver n’est pas loin. — Au plus tard dans un mois
” Je vous rendrai le double. Et du gland de mes bois
” Par dessus le marché. — Mais si par aventure
” Vous ne me rendiez rien.— Ah, c’est me faire injure.
” Mais puisque vous doutez, j’ai pour ma caution
” Le loup, seigneur de ce canton.
” Par le trou de votre serrure
” Regardez mon billet avec sa signature.—
” Bel emprunteur , qui pour garant
” M’offrez un voleur, un brigand,
” De moi rien n’aurez, je vous jure;
” Vous avez le pied leste et lui la dent trop dure.
” Je ne prête point à des gens
” A qui l’on n’oseroit envoyer les sergens “.
“La Brebis et le Cerf “