Un homme chérissait éperdument sa Chatte;
Il la trouvait mignonne, et belle, et délicate,
Qui miaulait d’un ton fort doux.
Il était plus fou que les fous.
Cet Homme donc, par prières, par larmes,
Par sortilèges et par charmes,
Fait tant qu’il obtient du destin
Que sa Chatte en un beau matin
Devient femme, et le matin même,
Maître sot en fait sa moitié.
Le voilà fou d’amour extrême,
De fou qu’il était d’amitié.
Jamais la Dame la plus belle
Ne charma tant son Favori
Que fait cette épouse nouvelle
Son hypocondre de mari.
Il l’amadoue, elle le flatte ;
Il n’y trouve plus rien de Chatte,
Et poussant l’erreur jusqu’au bout,
La croit femme en tout et partout,
Lorsque quelques Souris qui rongeaient de la natte
Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés.
Aussitôt la femme est sur pieds :
Elle manqua son aventure.
Souris de revenir, femme d’être en posture.
Pour cette fois elle accourut à point :
Car ayant changé de figure,
Les souris ne la craignaient point.
Ce lui fut toujours une amorce,
Tant le naturel a de force.
Il se moque de tout, certain âge accompli :
Le vase est imbibé, l’étoffe a pris son pli.
En vain de son train ordinaire
On le veut désaccoutumer.
Quelque chose qu’on puisse faire,
On ne saurait le réformer.
Coups de fourche ni d’étrivières
Ne lui font changer de manières ;
Et, fussiez-vous embâtonnés,
Jamais vous n’en serez les maîtres.
Qu’on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
Phèdre n’a pas mieux trouvé le héros de sa métamorphose, en rappliquant à un Renard. Son apologue n’est , comme celui-ci , qu’un conte hors de la nature et de cette vraisemblance morale qui doit se retrouver jusques dans les mensonges de la fable. Mais s’il faut désirer un sujet mieux choisi, où trouver, à quelques négligences près , des détails plus agréables, un esprit plus fin ,plus orné, si toutefois on peut louer l’esprit dans La Fontaine?
(1) Cet homme donc, par prières, par larmes, Par sortilèges et par charmes. A laquelle de ces causes diverses attribuer le prodige ? Le poète n’en sait rien. Mais comment ne pas croire à l’action de ces causes combinées?
(2) Maître-sot, D’un seul mot il a peint son homme.
(3) Son hypocondre de mari. Boileau a dit :
Cent fois la bête a vu l’homme hypocondre Adorer le métal que lui-même il fit fondre.
( Sat. VIII. ) On a mis ces vers en opposition avec celui de La Fontaine. Mais 1°notre fabuliste a relevé son expression hypocondre, par l’article qui lui donne l’air et l’accent de la conversation familière. 2°L’application qu’il en fait est juste, parce qu’elle s’adresse à un homme frappe d’une manie hypocondriaque, au lien que, dans le satyrique, elle ne peut se dire d’un culte même superstitieux. 3°. Boileau auroit dû dire homme hypocondriaque, et non hypocondre, comme on l’a déjà observé.
(4) Le vase est imbibé, etc. Traduction heureuse de ce vers:
Quo senel est imbuta recens servabit odorem Testa diù; comme tout le reste est un commentaire élégant, quoiqu’un peu prolixe, de ce passage d’Horace, imite de même par M. Aubert (L.I. fab. 10):
Naturam expellas furca, tamen usque resurret. Si La Fontaine est imitateur, il est plus souvent modèle. M. Le Monnier a dit d’après lui :
Mais en est-il ainsi d’un petit-maître ?
Jetez-en un par la fenêtre,
Par la porte aussitôt un autre rentrera.
( La jeune Fille et la Guêpe. ) Un M. de Saint-Maurice a imité ces deux poètes à-la-fois , dans une fable intitulée: l’Académie des Singes, citée par Bérenger.
(5) Embâtonnés , vieux mot, armes d’un bâton. (La chatte métamorphosée en femme)