» Oui, de vous seul dépend mon sort;
» Vous pouvez me tuer; mais vous m’avez vu naître !
» Mais vous êtes si bon ! si tendre ! ah ! mon cher maître !
» Vous vous reprocheriez ma mort.
» C’est ainsi qu’une chatte, illustre en friandise,
Tâchoit un jour d’amadouer
Son maître, prêt à la tuer
Pour avoir fait quelque sottise.
En longs regrets elle traînoit
Sa voix si douce et si câline !
» Non, disoit-elle, c’en est fait;
5> Je n’irai plus à la cuisine.
» J’eus le malheur d’être friande un peu,
» Je l’avoûrai; mais je parie,
» Et j’en mettrois ma patte au feu,
» Que pour jamais j’en suis guérie.
» Oh ! oui, je le sens bien.
Tenez, là, je verroit
» Les meilleurs mets,
» Eussai-je été deux jours sans manger et sans boire,
» Loin d’y toucher, ah ! vous pouvez m’en croire,
» Je mourrois de faim tout auprès;
( Tout en parlant, la friande femelle
Sur son ventre abaissé vers son maître marchoit
Et tout doucement s approchoit
D’un plat qui lors étoit près d’elle. )
» Je n’eus jamais que ce défaut,
» Et dieu merci, m’en voilà corrigée.
» Comme elle prononçoit ce mot,
Sa patte avec grâce allongée,
Saisissoit, emportoit le rôt.
Ce discours n’étoit pas un nouveau stratagème,
L’impérieux penchant la trompoit elle-même.
Ah ! qu’on a de peine à guérir
D’un vice vieilli dès l’enfance !
L’occasion, dès qu’elle vient s’offrir,
Au remords impose silence.
“La Chatte”